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25 février 2021Comment apprécier la condition d’habitation imposée au fermier pour le renouvellement d’un bail rural ?
Par un jugement paritaire (n° 51-19-5) du 8 décembre 2020, le Tribunal de proximité de Millau (ancien Tribunal paritaire des baux ruraux) a rejeté la demande de bailleurs qui souhaitaient ne pas renouveler le bail rural consenti à leur fermier au motif qu’il ne n’habitait pas sur le fonds ou à proximité.
Alors que le bail portant sur des terres et des bâtiments d’exploitation arrivait prochainement à l’échéance de sa durée de 9 ans, les bailleurs qui entendaient récupérer la libre disposition des biens loués ont saisi le tribunal aux fins de résiliation du bail et d’expulsion du preneur.
Ils estimaient que ce dernier ne remplissait plus la condition d’habitation sur place ou à proximité du fonds depuis son déménagement à plus de 90 km de là.
Le Tribunal a rejeté les demandes des bailleurs au motif que cette condition doit être examinée à la lumière de la condition de l’exploitation directe du fonds.
Renouvellement du bail rural et reprise de l’exploitation : même condition d’habitation
Le code rural soumet à la même condition d’habitation (sur place ou à proximité du fonds) le renouvellement du bail au fermier en place et la reprise de l’exploitation par le bailleur. C’est ainsi que :
- l’article L. 411-46 du code rural dispose que :
« Le preneur a droit au renouvellement du bail, nonobstant toutes clauses, stipulations ou arrangements contraires, à moins que le bailleur ne justifie de l’un des motifs graves et légitimes mentionnés à l’article L. 411-31 ou n’invoque le droit de reprise dans les conditions prévues aux articles L. 411-57 à L. 411-63, L. 411-66 et L. 411-67 […]
Le preneur et le copreneur visé à l’alinéa précédent doivent réunir les mêmes conditions d’exploitation et d’habitation que celles exigées du bénéficiaire du droit de reprise en fin de bail à l’article L. 411-59 ».
- l’article L. 411-59 du Code rural énonce comme conditions à la reprise et au renouvellement du bail les éléments suivants :
« Le bénéficiaire de la reprise doit, à partir de celle-ci, se consacrer à l’exploitation du bien repris pendant au moins neuf ans soit à titre individuel, soit au sein d’une société dotée de la personnalité morale, soit au sein d’une société en participation dont les statuts sont établis par un écrit ayant acquis date certaine. Il ne peut se limiter à la direction et à la surveillance de l’exploitation et doit participer sur les lieux aux travaux de façon effective et permanente, selon les usages de la région et en fonction de l’importance de l’exploitation. Il doit posséder le cheptel et le matériel nécessaires ou, à défaut, les moyens de les acquérir.
Le bénéficiaire de la reprise doit occuper lui-même les bâtiments d’habitation du bien repris ou une habitation située à proximité du fonds et en permettant l’exploitation directe ».
Le législateur qui a créé le régime du fermage (le statut du fermage a été institué par la Loi n° 46-682 du 13 avril 1946) n’a pas entendu quantifier la distance entre l’habitation du fermier et l’exploitation, et n’a pas non plus entendu instaurer une dépendance géographique et une contrainte physique pesant sur le preneur à l’égard de l’exploitation.
Dès lors, il revient aux Juges d’apprécier si la condition d’habitation sur place ou à proximité du fonds est remplie pour statuer sur le renouvellement du bail.
Bail rural, condition d’habitation et exploitation directe du fonds
Pour refuser le renouvellement d’un bail rural, le bailleur a la possibilité d’invoquer le fait que le fermier habite à une distance éloignée du fonds loué. Cependant, cette affirmation ne peut se borner à une évaluation strictement kilométrique de cette distance.
De plus, les conditions d’exploitation et les conditions de vie des agriculteurs ont considérablement changé de sorte que la condition de distance ne peut être celle évaluée il y 40 ou même 20 ans. En effet, de plus en plus d’agriculteurs résident désormais à des distances conséquentes de leur exploitation et pour un certain nombre dans des centres urbains sans que la bonne exploitation du fonds soit compromise. Bien plus, l’amélioration constante du réseau routier, l’évolution des performances du matériel agricole et l’intrusion des nouvelles technologies ont permis des gains de temps considérables qui permettent une organisation du temps de travail différente dans un sens plus favorable aux exploitants agricoles et parmi eux aux fermiers.
Au cas d’espèce, appréciant les conditions prescrites par le Code rural à la lumière de la réalité contemporaine de 2019 et 2020, le Tribunal a jugé qu’une distance de plus de 90 km à parcourir et un temps de trajet de plus d’une heure pour le fermier sont parfaitement compatibles avec l’exploitation de la ferme donnée à bail.
Le raisonnement du Tribunal est fondé sur une double considération :
- la condition d’habitation n’est pas une condition qui permettrait, en soi, d’assurer la bonne exploitation du fonds et l’exploitation directe de ce fonds,
- la condition de l’habitation à proximité ne peut pas être appréciée indépendamment de l’exploitation du fonds puisque l’article L. 411-59 al. 2 du Code rural évoque « une habitation située à proximité du fonds et en permettant l’exploitation directe».
C’est ainsi que la jurisprudence ne sanctionne, très logiquement et empiriquement, la condition d’une habitation non située à proximité du fonds que si cette circonstance ne permet pas l’exploitation directe du fonds.
Il en est de même si l’éloignement de l’habitation du preneur résulte du fait qu’il exploite une autre propriété. En effet, cette seconde exploitation pourrait ne pas permettre au fermier de consacrer le temps nécessaire à la propriété donnée à bail la plus éloignée.
Le jugement paritaire du 8 décembre 2020 du Tribunal judiciaire de Millau a donc fait une exacte application des dispositions du code rural en jugeant que la condition d’habitation non située à proximité du fonds n’est sanctionnée que si cette circonstance ne permet pas l’exploitation directe du fonds.
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