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14 avril 2025Un produit générique n’est pas une AOP
Par six arrêts n° 24NT01091, 24NT01100-24NT01101, 24NT01118-24NT01119, 24NT001121-24NT01124, 24NT01125-24NT01127 et 24NT01129-24NT01131 du 10 janvier 2025, la cour administrative d’appel de Nantes a eu à examiner la question de l’étiquetage des boites de camembert ne bénéficiant pas de l’appellation d’origine protégée (AOP) Camembert de Normandie. A cette occasion, elle a rappelé les règles européennes de protection des dénomination enregistrées au titre d’une AOP qui résulte du règlement n° 1151/2012 du 21 novembre 2012 de l’Union européenne.
Contrôles sur place de l’étiquetage et examen au cas par cas
Plusieurs producteurs et industriels spécialisés dans la fabrication ou l’achat, la transformation et la commercialisation de camemberts qu’ils commercialisent sous diverses marques, dont certaines ne bénéficient pas de l’appellation d’origine protégée (AOP) « Camembert de Normandie », ont fait l’objet de contrôles sur place de la direction départementale de la protection des populations du Calvados portant sur les étiquetages des camemberts ne bénéficiant pas de l’AOP.
Ces contrôles ayant conduit l’inspectrice de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes à constater plusieurs infractions, il a été suivi de l’envoi d’un courrier de pré-injonction. Puis par plusieurs décisions, l’inspectrice de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes de la direction départementale de l’emploi, du travail, des solidarités et de la protection des populations (DDETSPP) du Calvados a enjoint à ces sociétés de mettre en conformité, dans les quatre mois suivant la réception de cette décision, l’étiquetage de leurs fromages qui ne bénéficient pas de l’AOP « Camembert de Normandie » avec les prescriptions de l’article 13 du règlement (UE) n° 1151/2012 du 21 novembre 2012.
Les recours hiérarchiques présentés par ces sociétés ont été rejetés par plusieurs décisions. Les intéressées ont alors demandé au tribunal administratif de Caen l’annulation de chacune de ces décisions et de chacune des décisions rejetant leur recours hiérarchique contre ces décisions. Par plusieurs jugements du 12 février 2024, le tribunal administratif de Caen a annulé les décisions contestées. Le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique a fait appel de ces jugements devant la cour administrative d’appel de Nantes qui a annulé partiellement les jugements rendus par le tribunal administratif de Caen.
La protection des appellations protégées par le droit européen
Aux termes de l’article 5 du règlement n° 1151/2012 du Parlement européen et du Conseil du 21 novembre 2012 relatif aux systèmes de qualité applicables aux produits agricoles et aux denrées alimentaires, l’appellation d’origine est une dénomination qui définit un produit comme étant :
« a) originaire d’un lieu déterminé, d’une région, ou, dans des cas exceptionnels, d’un pays ;
- b) dont la qualité ou les caractéristiques sont dues essentiellement ou exclusivement au milieu géographique comprenant les facteurs naturels et humains ;
- c) dont toutes les étapes de production ont lieu dans l’aire géographique délimitée ».
L’article 13 du même règlement définit l’étendue de la protection des dénominations, notamment quant aux pratiques commerciales et aux indications fausses ou fallacieuses qui seraient susceptibles d’induire le consommateur en erreur quant à la véritable origine du produit.
Enfin, l’article 3-6° du même règlement, définit les mentions génériques comme les dénominations de produits qui, bien que se rapportant au lieu, à la région ou au pays de production ou de commercialisation initiale, sont devenues la dénomination commune d’un produit dans l’Union.
Par ailleurs, en droit interne, l’article L. 643-2 alinéa 1 du code rural et de la pêche maritime dispose que :
« L’utilisation d’indication d’origine ou de provenance ne doit pas être susceptible d’induire le consommateur en erreur sur les caractéristiques du produit, de détourner ou d’affaiblir la notoriété d’une dénomination reconnue comme appellation d’origine ou enregistrée comme indication géographique ou comme spécialité traditionnelle garantie, ou, de façon plus générale, de porter atteinte, notamment par l’utilisation abusive d’une mention géographique dans une dénomination de vente, au caractère spécifique de la protection réservée aux appellations d’origine, aux indications géographiques et aux spécialités traditionnelles garanties ».
Camembert et camembert de Normandie
La Cour rappelle que la dénomination « camembert de Normandie » constitue une appellation d’origine protégée au sens du titre II du règlement (UE) n° 1151/201 et qu’elle bénéficie de la protection instituée par ce règlement.
- le camembert, produit générique :
Si tout fromage répondant aux prescriptions du décret du 27 avril 2007 « relatif aux fromages et spécialités fromagères » concernant le produit dénommé « camembert » peut, conformément à l’article 13 de ce règlement, utiliser la dénomination «camembert » qui présente un caractère générique, il résulte de ces dispositions qu’il ne peut le faire que dans des conditions qui ne sont pas de nature à porter atteinte à la protection attachée à la dénomination « camembert de Normandie ».
- le camembert de Normandie, une appellation d’origine protégée :
La Cour poursuit son raisonnement en précisant qu’il ne saurait être fait mention, en association avec le terme générique « camembert », de l’origine « Normandie », laquelle ne constitue pas un terme générique, d’une manière telle que cette association de termes, en reprenant l’essentiel de la dénomination protégée, conduise le consommateur à avoir directement à l’esprit, à la lecture de cette mention, le fromage bénéficiant de l’appellation d’origine.
Lors de son contrôle, l’agent de l’Etat analysé un faisceau de références graphiques ou textuelles utilisées par les producteurs, leur agencement et les modalités concrètes de leur apposition. C’est sur la base de telles constatations que les décisions administratives de mise en conformité ont été édictées sur le fondement de l’article 13 du règlement (UE) n° 115/2012 du 21 novembre 2012.
Changement de règlementation et pratique administrative
Certaines des sociétés contrôlées invoquaient des pratiques antérieures à la reconnaissance de l’AOP « Camembert de Normandie », et notamment l’emploi de la mention « fabriqué en Normandie » pour justifier leurs pratiques. Ce moyen a été écarté.
En effet, la Cour rappelle que le cahier des charges de l’AOP « Camembert de Normandie » approuvé par le règlement d’exécution (UE) n° 1209/2013 du 25 novembre 2013 ne contient aucune prescription relative à l’emploi de la mention « fabriqué en Normandie », et que cette dernière ne figure dans aucune disposition législative ou réglementaire du droit de l’Union ou du droit interne. Elle souligne également que nul n’a de droit acquis au maintien d’une règlementation. Dès lors, le Juge d’appel considère que les sociétés en cause ne sont pas fondées à soutenir que la mention « fabriqué en Normandie » est devenue un usage dont bénéficient les producteurs de camemberts non-AOP fabriqués en Normandie.
La référence à la Normandie sur les étiquettes demeure cependant possible lorsque cette référence n’est pas associée au terme « camembert » et pourvu que le consommateur ne soit pas induit en erreur sur les caractéristiques du produit. Ainsi, restent autorisées les mentions :
- « élaboré avec le lait de nos producteurs de Normandie » (sur l’étiquette du dessous de la boite)
- « Lait origine France (Normandie) »
- « Lait 100% normand »
- « fabriqué en Normandie » sur le couvercle des fromages « Bridelight » et « Cœurmandie ».
La Cour a donc annulé partiellement les jugements de 1ère instance et partiellement les décisions de l’administration.