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22 février 2024Le Préfet peut-il recourir à des drones ?
Par une ordonnance n° 2400316 du 28 janvier 2024, le Juge des référés du Tribunal administratif d’Amiens a suspendu l’exécution de l’arrêté du Préfet de la Somme décidant de recourir à des drones à l’occasion des manifestations et de la mobilisation des agriculteurs dans le département.
Plusieurs associations ont saisi le Tribunal administratif d’Amiens d’un recours en référé-liberté (procédure destinée à sauvegarder une liberté fondamentale) dirigé contre l’arrêté du Préfet de la Somme en date du 24 janvier 2024 autorisant la captation, l’enregistrement et la transmission d’images au moyen de caméras installées sur des aéronefs (drones) au profit des forces de sécurité intérieure du département de la Somme dans le cadre du maintien de l’ordre public.
Pour que l’exécution d’une décision administrative soit suspendue sur le fondement e l’article L. 521-2 du code de justice administrative, il faut être en présence d’une atteinte grave et manifestement illégale portée par une personne de droit public à une liberté fondamentale.
Surveillance par drones et atteinte à une liberté fondamentale :
Le Juge des référés rappelle d’abord que le droit au respect de la vie privée, qui comprend le droit à la protection des données personnelles, constitue une liberté fondamentale.
Il précise ensuite que si le respect de cette liberté doit être concilié avec le maintien de l’ordre public et l’objectif de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l’ordre public, le recours à de tels outils pour assurer la sécurité d’un rassemblement doit, compte tenu de l’atteinte à la vie privée nécessairement portée par le recours à des aéronefs, qui permettent de capter et transmettre des images d’un nombre très important de personnes, y compris en suivant leurs déplacements et, le cas échéant, sans qu’elles en soient informées, être justifié et strictement nécessaire à la finalité poursuivie
Conditions d’une surveillance par drones
Avant de statuer sur le cas qui lui est soumis, le Tribunal a énoncé le cadre juridique de la surveillance par drones en rappelant les dispositions de l’article L. 242-5 du code de la sécurité intérieure et la décision du Conseil constitutionnel n° 2021-834 DC du 20 janvier 2022.
Pour le Conseil constitutionnel, les dispositions de l’article L. 242-5 du code de la sécurité intérieure ont précisément circonscrit les finalités justifiant le recours à ces dispositifs de surveillance, et l’autorisation requise, doit déterminer :
- cette finalité
- le périmètre strictement nécessaire pour l’atteindre
- le nombre maximal de caméras pouvant être utilisées simultanément.
Cette autorisation préfectorale ne saurait être accordée s’être assuré :
- que le service ne peut employer d’autres moyens moins intrusifs au regard du droit au respect de la vie privée
- ou que l’utilisation de ces autres moyens serait susceptible d’entraîner des menaces graves pour l’intégrité physique des agents.
De plus, cette autorisation ne saurait être renouvelée sans qu’il soit établi que le recours à des dispositifs aéroportés (drones) demeure le seul moyen d’atteindre la finalité poursuivie.
Illégalité d’une surveillance par drones sans limitation
Au cas d’espèce, le Juge des référés relève que les dispositions de l’article L. 242-5 du code de la sécurité intérieure imposent au Préfet de définir, à la date de l’arrêté autorisant la captation, l’enregistrement et la transmission d’images au moyen de caméras installées sur des aéronefs, le périmètre strictement nécessaire afin d’assurer la finalité justifiant le recours à un tel dispositif, à savoir :
- la prévention des atteintes à la sécurité des personnes et des biens dans des lieux particulièrement exposés
- la sécurité des rassemblements de personnes sur la voie publique ou dans les lieux ouverts au public.
Ainsi, si le Préfet peut autoriser la captation, l’enregistrement et la transmission d’images par aéronefs afin de permettre aux forces de l’ordre de son ressort de disposer d’une vision élargie facilitant le maintien et le rétablissement de l’ordre public en limitant l’engagement des forces au sol, ces dispositions ne sauraient permettre de définir, de manière préventive, un périmètre dont les contours seront précisés postérieurement à l’édiction de l’arrêté attaqué, lors de la réalisation des troubles à l’ordre public.
Or, au cas d’espèce, le Préfet avait autorisé la captation, l’enregistrement et la transmission d’images au moyen de caméras installées sur des drones, dans un périmètre défini de manière générale par l’ensemble des manifestations des agriculteurs réalisées dans le département de la Somme au cours de la période comprise entre les 24 et 29 janvier 2024, et dont la localisation précise était déterminée lors de la réalisation de ces manifestations postérieurement à l’édiction de l’arrêté litigieux.
Dès lors, en l’absence des précisions nécessaires requises par le code de la sécurité intérieure, l’arrêté du préfet de la Somme a porté une atteinte grave et manifestement illégale au droit au respect de la vie privée de sorte que le Juge des référés a suspendu l’exécution de la décision du Préfet de la Somme avec effet immédiat.