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28 avril 2021Suspension de l’arrêté du Préfet de la Savoie autorisant la destruction d’espèces protégées pour la réalisation d’un télésiège à Tignes
Par une ordonnance n° 2006572 rendue le 7 décembre 2020 à la demande de l’association « Biodiversité sous nos pieds », le Juge des référés du Tribunal administratif de Grenoble a suspendu l’arrêté du 11 septembre 2020 permettant la destruction d’espèces protégées pour la réalisation des travaux de remplacement d’un télésiège à Tignes en l’absence de raison impérative d’intérêt public majeur.
Conservation d’espèces protégées versus dérogation pour intérêt public majeur
L’article L. 411-1 du code de l’environnement pose le principe de la conservation de sites d’intérêt géologique, d’habitats naturels, d’espèces animales ou végétales et de leurs habitats tandis que l’article L. 411-2 du même code prévoit la délivrance de dérogations permettant la destruction des espèces protégées.
C’est ainsi qu’un projet d’aménagement ou de construction d’une personne publique ou privée susceptible d’affecter la conservation d’espèces animales ou végétales protégées et de leurs habitats ne peut être autorisé, à titre dérogatoire, que s’il répond, par sa nature à une raison impérative d’intérêt public majeur. En présence d’un tel intérêt, le projet ne peut cependant être autorisé, eu égard aux atteintes portées aux espèces protégées appréciées en tenant compte des mesures de réduction et de compensation prévues, que si, d’une part, il n’existe pas d’autre solution satisfaisante et, d’autre part, cette dérogation ne nuit pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle.
L’Apollon et le Solitaire versus le télésiège
Le Préfet de la Savoie a accordé à la Société des Téléphériques de la Grande Motte une dérogation aux dispositions de l’article L. 411-1 du code de l’environnement en vue de la réalisation des travaux de remplacement du télésiège du Marais à Tignes. Il considère que l’impact de l’opération sera faible et circonscrit, et que des mesures responsables d’évitement, de réduction et de compensation sont prescrites. Le Juge a considéré quant à lui que l’opération projetée est de nature à porter atteinte à deux espèces protégées de papillons : l’Apollon et le Solitaire. Pour statuer sur la demande de suspension de l’exécution de la décision du 11 septembre 2020, le Juge a examiné successivement les deux conditions cumulativement requises par l’article L. 521-1 du code de justice administrative.
– Sur la condition d’urgence : l’atteinte grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu’il entend défendre
Le Juge des référé a considéré que si la décision attaquée doit être distinguée de celle autorisant les travaux de démontage du télésiège du Marais et son remplacement par un nouvel appareil, il est constant que le bénéficiaire de la dérogation ne pourrait entreprendre les travaux sans se placer dans une situation d’infraction pénale. La condition d’urgence devant s’apprécier de façon concrète, il y a bien lieu de juger que c’est l’exécution de la dérogation contestée qui permettra de fait la destruction des espèces animales protégées, la perturbation intentionnelle desdites espèces, la dégradation de leurs habitats ainsi que la destruction de diverses espèces végétales.
Par ailleurs, le Tribunal a également considéré que la circonstance que la première phase des travaux soit achevée au jour de l’audience de référé, n’a pas pour effet de retirer au recours son urgence dès lors que la seconde phase est prévue pour être entreprise dès la fonte des neiges, c’est-à-dire normalement au mois de mai 2021. A cet égard, précise le Juge, ce serait en contradiction avec les règles de procédure contentieuse en matière de référés ainsi qu’avec la réalité du phasage de l’opération que la condition d’urgence pourrait être déniée, pour cette raison, à ce stade.
Le Préfet de la Savoie a quant à lui estimé que la condition d’urgence n’était pas remplie pour deux raisons. En premier lieu, il a fait valoir que la suspension de la décision attaquée préjudicierait à la réussite du stockage, de la transplantation et du renforcement des plantes-hôtes des papillons. Toutefois, cette phase ayant été menée à bien, l’argument n’a pas été retenu par le Tribunal. En deuxième lieu, le Préfet de la Savoie a considéré que la suspension de l’arrêté en litige mettrait en péril l’organisation et le fonctionnement des services de sécurité. Or, le poste de secours installé au sommet de l’Aiguille Percée demeure accessible par une autre remontée mécanique et les interventions des secouristes ne seraient donc pas affectées par la suspension de la décision attaquée. Par ailleurs, le Préfet de la Savoie n’établit pas non plus que l’accroissement du temps de retour des secouristes depuis le bas de la station, les Boisses et les Brévières, jusqu’au poste de secours élevé en empruntant les autres remontées existantes serait tel qu’il obérerait le bon fonctionnement du service.
Enfin, il est constant que l’opération contestée se situe au sein de la Réserve naturelle de Tignes-Champagny, créée en même temps que le Parc National de la Vanoise, et censée offrir des garanties particulières en matière de protection de la faune et de la flore. Dès lors, le Tribunal a considéré que la condition d’urgence était remplie.
- Sur le doute sérieux quant à la légalité de la décision
L’appréciation du Juge est plus concise sur cette seconde condition mais découle de ses précédentes considérations. Il estime ainsi que le moyen tiré de ce que la dérogation a été accordée en l’absence de raison impérative d’intérêt public majeur et donc en violation des dispositions de l’article L. 411-2 du code de l’environnement paraît propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée.
Pour l’ensemble de ces motifs, le Juge des référé a suspendu l’exécution de l’arrêté du Préfet de la Savoie du 11 septembre 2020.