Le Préfet, l’Apollon et le Solitaire
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12 mai 2021L’annulation de l’obligation d’indication géographique par étiquetage de l’origine du lait : le Conseil d’Etat suit la CJUE
Par une décision n° 404651, 428432, 441239 du 10 mars 2021, rendue à la demande de la Société Groupe Lactalis, le Conseil d’Etat a jugé illégal d’imposer en France l’étiquetage géographique du lait car il n’y a pas de lien avéré entre son origine et ses propriétés. Cette décision fait suite à une question préjudicielle posée à la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE).
Par décret du 19 août 2016, le Premier ministre a rendu obligatoire, à titre expérimental, l’indication de l’origine du lait ainsi que du lait et viandes utilisées en tant qu’ingrédient dans des denrées alimentaires préemballées, pour la période allant du 1er janvier 2017 au 31 décembre 2018. Cette période a été prorogée jusqu’au 31 mars 2020 par le décret du 24 décembre 2018, puis jusqu’au 31 décembre 2021 par le décret du 27 mars 2020. Par plusieurs requêtes, la société Groupe Lactalis a demandé l’annulation pour excès de pouvoir du décret du 19 août 2016 en tant seulement qu’il concerne le lait ainsi que le lait utilisé en tant qu’ingrédient, et l’annulation pour excès de pouvoir des décrets des 24 décembre 2018 et 27 mars 2020, en tant qu’ils prorogent la période d’expérimentation pour ces seuls produits.
Par décisions du 27 juin 2018 et du 21 octobre 2019, le Conseil d’Etat a sursis à statuer jusqu’à ce que la Cour de Justice se soient prononcée sur l’appréciation des conditions posées par l’article 39 du règlement n° 1169/2011 du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2011 concernant l’information des consommateurs sur les denrées alimentaires. La CJUE a statué par un arrêt C-485/18 du 1er octobre 2020.
La CJUE rappelle les deux conditions pour l’étiquetage obligatoire
- l’article 39 du règlement européen du 25 octobre 2011 :
» 1. Outre les mentions obligatoires visées à l’article 9, paragraphe 1, et à l’article 10, les États membres peuvent, conformément à la procédure établie à l’article 45, adopter des mesures exigeant des mentions obligatoires complémentaires, pour des types ou catégories spécifiques de denrées alimentaires, justifiées par au moins une des raisons suivantes :
- a) protection de la santé publique ;
- b) protection des consommateurs ;
- c) répression des tromperies ;
- d) protection de la propriété industrielle et commerciale, des indications de provenance ou des appellations d’origine enregistrées, et répression de la concurrence déloyale.
- En application du paragraphe 1, les États membres ne peuvent introduire des mesures concernant l’indication obligatoire du pays d’origine ou du lieu de provenance des denrées alimentaires que s’il existe un lien avéré entre certaines propriétés de la denrée et son origine ou sa provenance. Lorsqu’ils communiquent ces mesures à la Commission, les États membres apportent la preuve que la majorité des consommateurs attachent une importance significative à cette information « .
- comment apprécier les deux exigences ?
Dans l’arrêt du 1er octobre 2020, la Cour de justice a dit pour droit que l’article 39 du règlement doit être interprété en ce sens que, en présence de mesures nationales qui seraient justifiées, au regard du paragraphe 1 de cet article, par la protection des consommateurs, les deux exigences prévues au paragraphe 2 de cet article, à savoir l’existence d’un lien avéré entre certaines propriétés d’une denrée alimentaire et son origine ou sa provenance, d’une part, et la preuve que la majorité des consommateurs attache une importance significative à cette information, d’autre part, ne doivent pas être appréhendées de façon combinée, de telle sorte que l’existence de ce lien avéré ne peut pas être appréciée en se fondant seulement sur des éléments subjectifs, tenant à l’importance de l’association que les consommateurs peuvent majoritairement faire entre certaines propriétés de la denrée alimentaire concernée et son origine ou sa provenance.
Le Ministère de l’agriculture a oublié une condition : le lien entre l’origine géographique du lait et les propriétés du lait
Aux termes de la décision du Conseil d’Etat, il apparaît que l’Etat a méconnu les termes et la portée du règlement européen 25 octobre 2011. C’est ainsi que le Juge administratif a relevé que le Ministre de l’agriculture et de l’alimentation, dans les mémoires qui ont été produits tant avant qu’après l’arrêt du 1er octobre 2020 de la Cour de justice de l’Union européenne, a exclusivement justifié les dispositions contestées des décrets attaqués par l’importance que la majorité des consommateurs attachent, d’après des sondages, à l’existence d’une information sur l’origine ou la provenance du lait, compte tenu du lien qui existe, selon eux, entre celles-ci et certaines propriétés de cette denrée alimentaire.
Le Conseil d’Etat poursuit son raisonnement en relevant que lors de l’audience d’instruction qui s’est tenue le 19 janvier 2018, l’administration française a également indiqué qu’en dehors de cette approche subjective, il n’y a pas, objectivement, de propriété du lait qui puisse être reliée à son origine géographique, y compris selon que le lait est produit ou non dans un Etat membre de l’Union européenne.
Dans ces conditions, les dispositions du décret du 19 août 2016, en tant qu’elles imposent, sous peine de sanction, la mention de l’indication de l’origine pour le lait et le lait utilisé en tant qu’ingrédient, le cas échéant en se bornant à une mention » Origine : UE » ou » Origine : non UE « , méconnaissent l’article 39 du règlement du 25 octobre 2011. Le Conseil d’Etat a donc prononcé l’annulation des décrets contestés par la Société Groupe Lactalis.
Au vu de cette erreur de droit, le Ministre de l’agriculture et de l’alimentation a la possibilité de prendre un nouveau décret permettant d’informer les consommateurs mais après avoir pris en considération et établi le lien avéré entre les propriétés du lait et son origine géographique, ce qu’il n’avait manifestement pas jugé utile de faire avant d’édicter le décret du 19 août 2016.
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Photographie : J. Pourredon