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4 novembre 2020Condamnation de l’Etat pour ne pas avoir rempli ses obligations en matière de protection des dauphins sur la côte Atlantique
Par une décision n° 1901535 du 2 juillet 2020, le tribunal administratif de Paris a condamné l’État pour la méconnaissance de ses obligations en matière de protection des mammifères marins, dont les dauphins, et de contrôle des activités de pêche
Les textes européens et le code de l’environnement imposent aux autorités françaises de mettre en œuvre des mesures visant à assurer le maintien ou le rétablissement des espèces protégées, dans le cadre de zones dites « Natura 2000 ». Les États membres doivent également contrôler les captures et les mises à mort accidentelles de ces mammifères marins grâce à des programmes de surveillance des navires et des pratiques de pêche commerciale non sélective.
Saisi par l’association Sea Shepherd France, le tribunal a relevé que si la France a mis en place une législation destinée à protéger les cétacés, en particulier le grand dauphin, le dauphin commun et le marsouin, l’état de conservation de ces espèces est toujours insuffisant dans la zone Atlantique. En effet, cette zone est marquée par de nombreux phénomènes d’échouage de dauphins depuis plusieurs années alors que la région connait une activité de pêche commerciale intense.
Si les autorités françaises ont, depuis deux ans, renforcé les mesures d’encadrement de l’activité de pêche par la mise en place d’un régime de déclaration des captures accidentelles, l’augmentation du nombre d’observateurs à bord des navires ou l’obligation d’installation de répulsifs acoustiques pour les chaluts pélagiques dans le golfe de Gascogne, ces mesures ont été mises en œuvre tardivement et restent insuffisantes.
Protection des dauphins et obligations de l’État
Il résulte des règlementations européenne et française que le grand dauphin et le marsouin commun constituent des espèces d’intérêt communautaire dont l’habitat doit être protégé dans le cadre de zones spéciales de conservation faisant partie du réseau écologique « Natura 2000 », tenant compte notamment des exigences économiques et ne pouvant conduire à interdire les activités humaines dès lors qu’elles n’ont pas d’effets significatifs sur le maintien ou le rétablissement dans un état de conservation favorable de ces habitats naturels et de ces espèces. Ces espèces, et plus largement l’ensemble des cétacés, dont le dauphin commun à bec court, doivent par ailleurs faire l’objet de mesures de protection stricte dans leur aire de répartition naturelle, consistant notamment à interdire toute forme de destruction, de mutilation, de capture, d’enlèvement ou de mise à mort intentionnels et de toute perturbation intentionnelle de ces espèces incluant la poursuite ou le harcèlement des animaux dans leur milieu naturel, cette interdiction ne s’appliquant pas à la capture accidentelle dans les engins de pêche.
Le tribunal considère qu’il incombe également à l’autorité administrative de mettre en œuvre un système de contrôle des captures et mises à mort accidentelles, sous la forme notamment d’un régime déclaratif, ainsi que, s’agissant en particulier des zones de pêche de la façade atlantique, des programmes de surveillance scientifique des captures accidentelles de cétacés grâce à la présence d’observateurs à bord des navires, présentant des garanties d’indépendance et des compétences requises, cette obligation s’appliquant, dans les zones en question, à compter du 1er janvier 2005 pour les chaluts pélagiques et les filets maillants de fond ou filets emmêlants utilisant des mailles d’une dimension égale ou supérieure à 80 mm, et à compter du 1er janvier 2006 pour les chaluts à grande ouverture. À cette fin, il appartient à l’autorité administrative de mettre en œuvre une méthode de collecte de données permettant d’évaluer l’incidence des pêcheries sur l’écosystème marin, dont elle doit vérifier la qualité et l’exhaustivité. Enfin, sur la base des informations recueillies, l’autorité administrative doit entreprendre de nouvelles recherches ou prendre les mesures de conservation nécessaires pour faire en sorte que les captures ou mises à mort involontaires n’aient pas une incidence négative importante sur les espèces en question.
Protection des dauphins et responsabilité de l’État
Le jugement expose qu’il résulte de l’instruction, en particulier des données du système d’observation pour la conservation des mammifères et oiseaux marins, dit « observatoire Pelagis », lequel coordonne le programme « réseau national d’échouage » (RNE) depuis les années 1970, sous la tutelle du ministère de la transition écologique et solidaire, que des épisodes d’échouage de plus d’une centaine de cétacés, essentiellement de dauphins communs, et, dans une moindre mesure, de grands dauphins et de marsouins communs, très supérieurs à la norme saisonnière et concentrés sur la période hivernale, sont régulièrement constatés depuis les années 1990, sur la façade atlantique, soit en moyenne plus de 900 par an, et en forte augmentation depuis 2016. Certains de ces animaux portent des traces laissant suggérer des captures par engins de pêche.
L’association Sea Shepherd France qui estime que ces épisodes de surmortalité sont liés à la carence de l’État dans la mise en œuvre de ses obligations découlant notamment des textes précités issus du droit de l’Union européenne et des mesures nationales en matière de protection des mammifères marins et de contrôle des activités de pêcheries, soutient que la responsabilité de l’autorité administrative est engagée.
- Directive « Habitats » et protection des dauphins
Si les cétacés sont classés parmi les espèces animales d’intérêt communautaire qui nécessitent une protection stricte depuis la directive « Habitats » du 21 mai 1992, laquelle devait être transposée au plus tard le 10 juin 1994, ce n’est qu’à partir de 2011 que le grand dauphin, le dauphin commun à bec court et le marsouin commun ont été inscrits par dans la liste des mammifères marins protégés sur le territoire national. Si les autorités françaises ont également mis en place à ce jour le « système de protection stricte » exigé par l’article 12 de la directive du 21 mai 1992, transposé par les dispositions des articles L. 411-1 et suivants du code de l’environnement et celles de l’arrêté du 1er juillet 2011, il résulte de l’instruction que, à la suite du constat en 2014 par la Commission européenne, de l’insuffisance des désignations de sites dans les eaux sous juridiction française au-delà des eaux territoriales, de nouvelles zones de protection ont dû être créées, à partir de 2017 seulement, en particulier sur la façade maritime sud-atlantique, tel le site « Mers celtiques – Talus du golfe de Gascogne », reconnu comme site d’importance communautaire en décembre 2018 et qui n’est pas encore désigné comme « zone spéciale de conservation » au sens de cette directive.
Nonobstant le régime de protection institué à partir de 2011, l’état de conservation des espèces de cétacés en question n’a pas retrouvé un caractère favorable au sens de l’article 1er de la directive du 21 mai 1992, celui-ci étant qualifié, selon l’inventaire national du patrimoine naturel (INPN), institué par l’article L. 411-1 A du code de l’environnement, de « défavorable mauvais » s’agissant du dauphin commun et du marsouin commun dans la région atlantique, et de « défavorable inadéquat » s’agissant du grand dauphin, dans cette même région.
- Protection des dauphins et pratiques de pêche
Le tribunal relève que le golfe de Gascogne, dont le plateau de Rochebonne, et plus largement la façade atlantique, connaissent une activité importante de pêche professionnelle, notamment par des chalutiers pélagiques pêchant selon la pratique dite « en bœuf » et des chalutiers industriels à grande ouverture verticale, ciblant spécifiquement le bar dont les études ont mis en évidence un régime alimentaire comparable à celui des dauphins communs, et dont les principales zones de capture se situent près des côtes de Charente-Maritime et de Vendée et à proximité du talus continental du golfe de Gascogne.
Aux termes du rapport d’activité 2017 de l’observatoire Pelagis, que 1 642 cétacés, dont 800 dauphins ont été retrouvés morts échoués sur la côte atlantique au cours de l’année 2017, et près de 500 sur les seules côtes de Vendée et de Charente-Maritime. Il ressort de la note de synthèse publiée par cet observatoire en mars 2017, qu’une grande majorité des dauphins échoués portait des traces d’une capture accidentelle dans un engin de pêche, causées « soit directement par les engins de pêches (traces de maillages), soit par la manipulation des animaux lors de leur remontée à bord des navires (fractures, amputations antérieures à l’échouage) », les investigations complémentaires menées sur 134 animaux ayant permis de confirmer, dans près de 90% des cas, cette cause de la mort.
Selon les données de ce même observatoire, 1 383 échouages de cétacés ont été recensés en 2018, principalement des dauphins communs, lesquels présentaient, dans plus de 80% des cas, sur la période entre janvier et avril, un état de décomposition peu avancé et des lésions compatibles avec une mort par capture accidentelle. Sur le début de l’année 2019, selon les données fournies par l’observatoire dans le cadre du groupe de travail national sur les captures accidentelles en Atlantique, mis en place par le ministère de l’agriculture et de l’alimentation, 1 233 échouages de petits cétacés, dont plus 70% de dauphins communs, ont été enregistrés, le taux de captures accidentelles par engin de pêche étant estimé à 85%.
Il ressort enfin des études produites par l’association Sea Shepherd France, non sérieusement contestées par l’État, que seulement près de 20% des dauphins morts par capture accidentelle s’échouent sur les côtes, les autres animaux tués se décomposant en mer. À partir des échouages constatés, les captures accidentelles ont été estimées entre 2 000 à 8 000 animaux par an entre 2000 et 2009 sur la façade atlantique. Au cours des hivers 2017 et 2018, entre 3 500 et 4 000 dauphins communs seraient morts en mer par capture accidentelle uniquement dans le golfe de Gascogne, et jusqu’à 10 000 selon les estimations hautes de l’observatoire Pelagis.
- Protection des dauphins et défaut de surveillance des captures
L’État a reconnu qu’il existe au moins une corrélation spatiale entre les activités de certaines pêcheries et la population de dauphins communs. Cependant, le nombre de contrôle en mer dans le sud du golfe de Gascogne est jugé déficitaire et l’analyse des risques sur les espèces d’intérêt communautaire dont font partie les cétacés, est encore en cours d’élaboration de sorte que des mesures règlementaires encadrant la pratique de la pêche n’ont pas encore été prises. Par ailleurs, si le règlement du 26 avril 2004 prévoit que ce programme de surveillance doit être conçu pour étudier de façon représentative les captures accessoires de cétacés dans les pêcheries concernées, il ressort des éléments produits par l’association Sea Shepherd France que les données recueillies par l’observatoire OBSMER s’avèrent insuffisantes et ne reflètent pas la mortalité réellement constatée due aux captures accidentelles. Enfin, le dispositif de répulsifs acoustiques de type « pingers » pour diminuer les prises accidentelles de cétacés n’est pas adapté à toutes les techniques de pêche, par exemple en cas d’utilisation de filets maillants.
- Protection des dauphins et carence de l’État
À l’issue de son raisonnement, le tribunal a considéré que les autorités françaises doivent être regardées comme ayant tardé à mettre en œuvre des actions concrètes au regard du constat d’épisodes récurrents, depuis les années 1990, accentués depuis 2016, de surmortalité de cétacés sur la façade atlantique, en particulier dans le golfe de Gascogne. Ce retard constitue une carence de l’État dans le respect de ses obligations découlant du droit de l’Union européenne, en particulier son obligation de protection des cétacés et de contrôle des activités de pêcherie. Dans ces conditions, le tribunal a jugé que l’association Sea Shepherd France est fondée à soutenir que cette carence constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l’État.
Protection des dauphins et préjudices de Sea Shepherd France
Aux termes de l’article L. 142-1 du code de l’environnement : « Toute association ayant pour objet la protection de la nature et de l’environnement peut engager des instances devant les juridictions administratives pour tout grief se rapportant à celle-ci ». Comme le rappelle le tribunal, ces dispositions ne dispensent pas l’association qui sollicite la réparation d’un préjudice, notamment moral, causé par les conséquences dommageables d’une carence fautive de l’autorité administrative de démontrer l’existence d’un préjudice direct et certain résultant, pour elle, de la faute commise par l’État.
En l’espèce, l’association Sea Shepherd France a notamment pour objet, selon ses statuts, « de promouvoir la conservation et la préservation d’organismes vivants, notamment, mais non exclusivement aquatiques », « de promouvoir une éthique humaine à l’égard des animaux, notamment, mais non exclusivement des mammifères marins, de défendre le droit de générations futures à un environnement sain », et « de défendre et représenter y compris en justice notamment les victimes directes ou indirectes des atteintes environnementales et/ou animales », « plus particulièrement obtenir, au besoin, par une action en justice devant toute juridiction compétente en la matière […] une stricte application des lois et des règlements ayant trait à la défense des différences espèces animales ou végétales, quel que soit leur statut juridique ou de conservation » et « la défense de leurs milieux et la garantie de la stricte application des lois et des règlements ayant trait à la faune ou à la flore ainsi que les écosystèmes dont elles dépendent ».
L’association Sea Shepherd, créée en 1977, est investie de longue date et de manière active dans la préservation des mammifères marins et la protection des océans. L’association mène ainsi chaque hiver, depuis plusieurs années, des campagnes en mer, dites « Dolphin Bycatch », notamment sur le plateau de Rochebonne, consistant à filmer les remontées des filets de chaluts afin d’alerter l’opinion publique sur le sort des mammifères marins et l’existence des captures liées à l’usage d’engins de pêche non sélective, qui connaissent une certaine audience dans les médias. L’association requérante produit notamment plusieurs factures concernant les frais d’entretien de ses navires lui permettant de mener ses campagnes en mer et la taxe de francisation et de navigation qu’elle acquitte.
Ainsi, eu égard à son objet, à son ancienneté, et à l’importance des actions menées, le tribunal a considéré que la faute commise par l’État en raison du retard pris pour respecter ses obligations, européennes et nationales, en matière de protection des mammifères marins et de contrôle des activités de pêche a porté atteinte aux intérêts collectifs que défend cette association pour la défense des océans et des mammifères marins et lui a causé un préjudice moral certain, direct et personnel, dont elle est fondée à demander réparation pour la période allant de 2014 à 2019. Dans ces conditions, le tribunal a jugé qu’il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en lui accordant une indemnité d’un montant de 6 000 euros.
Enfin, le tribunal administratif a refusé de faire droit aux conclusions de l’association Sea Shepherd France tendant à ce qu’il soit notamment enjoint aux autorités françaises d’interdire toute activité de pêche dans la zone « Natura 2000 » située dans le golfe de Gascogne, car il a estimé que les mesures récemment prises par l’État, en application du nouveau règlement européen du 20 juin 2019, sont de nature à pallier les effets du comportement fautif dénoncé par l’association.