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12 mai 2022De la distinction entre un déchet et un sous-produit : l’exemple du rhum
Par un jugement n° 2100058 du 23 décembre 2021 rendu à la demande d’un producteur de rhum, le tribunal administratif de la Martinique a annulé partiellement l’arrêté du Préfet de la Martinique du 21 août 2021 fixant des prescriptions complémentaires en matière de mesures et de limitations de polluants dans l’atmosphère pour l’exploitation des installations classées de combustion de distilleries de rhum agricole.
Pour statuer sur la légalité de l’arrêté préfectoral contesté, le tribunal a d’abord dû s’interroger sur les notions de déchet et de sous-produit et sur la qualification juridique de la bagasse, résidu qui résulte du broyage de la canne à sucre. Cette bagasse sert à alimenter comme combustible des chaudières à vapeur utilisées pour distiller le jus de la canne à sucre, le vésou, pour obtenir le vin de canne puis le rhum.
Chaudière à bagasse et émission dans l’air de polluants :
L’arrêté préfectoral attaqué du 21 août 2020 vise plusieurs articles du code de l’environnement, le décret n° 2018-704 du 3 août 2018 modifiant la nomenclature des installations classées, ainsi que l’arrêté ministériel du même jour relatif aux prescriptions de la rubrique 2910 de cette nomenclature, à savoir les installations de combustion de puissance thermique nominale totale supérieure ou égale à 1 MW et inférieure à 20 MW.
Le Préfet de la Martinique indique dans sa décision que les installations de combustion de type chaudières à bagasse relèvent depuis 2013 de la rubrique 2910-B de la nomenclature des installations classées, et sont soumises aux valeurs limites de d’émissions fixées par l’arrêté ministériel du 3 août 2018, y compris pour les installations situées dans les départements d’outre-mer.
Il considère qu’afin d’assurer le respect des articles L. 181-3 et L. 181-4 du code de l’environnement, il est nécessaire d’imposer aux installations de combustion exploitées par la société requérante les prescriptions relatives aux caractéristiques des combustibles, aux valeurs limites d’émissions dans l’air et à la surveillance des émissions dans l’air fixées par l’arrêté ministériel du 3 août 2018.
La société exploitante de l’installation classée contestait ce raisonnement et son assujettissement aux prescriptions propres à la catégorie 2910-B de la nomenclature qui exigent des mesures des émissions de façon continue alors que les mesures ne sont effectuées que de manière périodique dans la catégorie 2910-A.
Chaudière à bagasse et installations classées : quelle nomenclature ?
- quelle rubrique de la nomenclature ?
La rubrique 2910 de nomenclature des installations classées comporte une sous-rubrique 2910-A, qui comprend notamment les installations de combustion dans lesquelles est consommée exclusivement de la biomasse telle que définie au a), ainsi qu’une sous-rubrique 2910-B, qui comprend notamment les installations de combustion de biomasse telle que définie au b) ii).
Cette même rubrique dispose : « On entend par « biomasse« , au sens de la rubrique 2910 :
- a) Les produits composés d’une matière végétale agricole ou forestière susceptible d’être employée comme combustible en vue d’utiliser son contenu énergétique
- b) Les déchets ci-après : […]
- ii) Déchets végétaux provenant du secteur industriel de la transformation alimentaire, si la chaleur produite est valorisée ».
- déchet ou sous-produit ?
Le tribunal administratif relève que :
. l’article L. 541-1-1 du code de l’environnement définit le déchet comme « toute substance ou tout objet, ou plus généralement tout bien meuble, dont le détenteur se défait ou dont il a l’intention ou l’obligation de se défaire ».
. l’article L. 541-4-2 du même code dispose que « une substance ou un objet issu d’un processus de production dont le but premier n’est pas la production de cette substance ou cet objet ne peut être considéré comme un sous-produit et non comme un déchet au sens de l’article L. 541-1-1 que si l’ensemble des conditions suivantes est rempli :
– l’utilisation ultérieure de la substance ou de l’objet est certaine
– la substance ou l’objet peut être utilisé directement sans traitement supplémentaire autre que les pratiques industrielles courantes
– la substance ou l’objet est produit en faisant partie intégrante d’un processus de production
– la substance ou l’objet répond à toutes les prescriptions relatives aux produits, à l’environnement et à la protection de la santé prévues pour l’utilisation ultérieure
– la substance ou l’objet n’aura pas d’incidences globales nocives pour l’environnement ou la santé humaine ».
- la bagasse est un sous-produit et non un déchet
Le tribunal administratif rappelle que les installations de la distillerie concernée disposent de machines actionnées grâce à la vapeur produite par deux chaudières alimentées par les résidus broyés de cannes à sucre, dénommés « bagasse », produits à l’occasion de la première phase du processus de fabrication du rhum agricole consistant à broyer mécaniquement les cannes à sucre dans des moulins afin de récupérer le jus de canne à sucre.
Si la création de bagasse ne peut être considérée comme le but premier du processus de production mis en œuvre par la société requérante, il est toutefois constant que son utilisation ultérieure est certaine, ne nécessite aucun traitement supplémentaire et qu’elle est produite en faisant partie intégrante du processus de production.
Si la bagasse a un pouvoir calorifique inférieur à un combustible traditionnel en raison de son taux d’humidité élevé, il n’apparaît pas que son utilisation dans la combustion de biomasse méconnaîtrait une prescription législative ou réglementaire quelconque relative aux produits, à l’environnement et à la protection de la santé.
De même, il n’est pas établi par les pièces du dossier que l’utilisation de la bagasse dans des installations de combustion de biomasse aurait une incidence globale nocive pour l’environnement ou la santé humaine.
Dans ces conditions, le tribunal administratif considère que la bagasse ainsi créée et utilisée par la société pour nourrir la combustion de ses deux chaudières doit être regardée comme constituant un sous-produit de son processus de production de rhum agricole, et non un déchet.
Il en déduit que la société est fondée à soutenir que le Préfet de la Martinique a méconnu les dispositions du code de l’environnement et a commis une erreur d’appréciation en classant ses deux chaudières dans la sous-rubrique 2910-B de la nomenclature et en lui imposant des prescriptions complémentaires prévues par l’arrêté ministériel du 3 août 2018 pour les installations relevant de cette sous-rubrique 2910-B.
Le tribunal administratif de la Martinique a donc annulé les dispositions de l’arrêté préfectoral qui étaient fondées sur cette méconnaissance et cette erreur d’appréciation.
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Photographies : Serge BOURGEAT