Lotissement, Loi ALUR et intérêt à agir contre un permis de construire
17 mars 2020Pollution de l’air : astreinte record infligée à l’État
31 juillet 2020Le Conseil d’État confirme l’indemnisation des départements de l’Orne et de la Manche résultant des pratiques anti-concurrentielles de leurs fournisseurs.
Par trois décisions n° 420491, 421758 et 421833 rendues le 27 mars 2020, le Conseil d’État a tiré les conséquences indemnitaires des pratiques anti-concurrentielles de plusieurs sociétés de signalisation routière précédemment sanctionnées par l’Autorité de la concurrence.
D’une part, le département de la Manche a demandé au tribunal administratif de Caen de condamner la société Signalisation France à lui verser la somme de 2 235 742 euros en réparation du préjudice subi du fait des pratiques anticoncurrentielles de cette société lors de la passation le 21 janvier 2002 et le 31 mars 2005 de deux marchés à bons de commande. Par un jugement n° 1500353 du 6 avril 2017, le tribunal administratif de Caen a condamné la société Signalisation France à verser au département de la Manche cette somme assortie des intérêts légaux à compter du 16 février 2015 ainsi que la somme de 16 069,52 euros au titre des frais d’expertise.
Par un arrêt n° 17NT01526 du 16 mars 2018, la cour administrative d’appel de Nantes a rejeté l’appel formé par la société Signalisation France contre ce jugement.
D’autre part, le département de l’Orne a demandé au tribunal administratif de Caen de condamner solidairement les sociétés Signalisation France, Signaux Girod, Nadia Signalisation, Lacroix Signalisation et Franche-Comté Signaux à lui payer la somme de 2 239 819 euros, assortie des intérêts et de leur capitalisation, en réparation du préjudice subi du fait des mêmes pratiques anticoncurrentielles. Par un jugement n° 1500227 du 6 avril 2017, le tribunal administratif de Caen a condamné solidairement les sociétés Signalisation France, Signaux Girod, Lacroix Signalisation, et Franche-Comté Signaux à verser au département de l’Orne la somme de 2 239 819 euros, assortie des intérêts à compter du 29 janvier 2015 et de leur capitalisation au 29 janvier 2016 et à chaque échéance annuelle ultérieure.
Par un arrêt n° 17NT01719, 17NT01740, 17NT01741, 17NT01770 du 27 avril 2018, la cour administrative d’appel de Nantes a rejeté les appels formés par la société Lacroix Signalisation et par la société Signaux Girod contre ce jugement.
Le 27 mars 2020, le Conseil d’État a rejeté les pourvois de ces trois sociétés.
Pratiques anticoncurrentielles et marchés publics
Par une décision n° 10-D-39 du 22 décembre 2010, l’Autorité de la concurrence a infligé des sanctions financières à huit sociétés dont les sociétés Signature (devenue Signalisation France), Signaux Girod, Lacroix Signalisation et Franche-Comté Signaux pour s’être entendues sur la répartition et le prix des marchés de signalisation routière entre 1997 et 2006.
Durant cette période, les départements de l’Orne et de la Manche ont passé des marchés à bons de commande avec certaines de ces sociétés. Suite à la condamnation prononcée par l’Autorité de la concurrence, ils ont saisi le Juge administratif pour que leurs cocontractants et des tiers au contrat soient condamnés à réparer le préjudice subi par eux du fait de pratiques anticoncurrentielles.
Pratiques anticoncurrentielles et responsabilité quasi-délictuelle
Le Conseil d’État précise que si une personne publique est, en principe, irrecevable à demander au juge administratif de prononcer une mesure qu’elle a le pouvoir de prendre, la faculté d’émettre un titre exécutoire dont elle dispose ne fait pas obstacle, lorsque la créance trouve son origine dans un contrat, à ce qu’elle saisisse le juge d’administratif d’une demande tendant à son recouvrement. L’action tendant à l’engagement de la responsabilité quasi délictuelle d’une société en raison d’agissements dolosifs susceptibles d’avoir conduit une personne publique à contracter avec elle à des conditions de prix désavantageuses, qui tend à la réparation d’un préjudice né du contrat lui-même et résultant de la différence éventuelle entre les termes du marché effectivement conclu et ceux auxquels il aurait dû l’être dans des conditions normales de concurrence, doit être regardée, pour l’application de ces principes, comme trouvant son origine dans le contrat.
Par suite, le Conseil d’État confirme le bien-fondé des arrêts de la Cour administrative d’appel de Nantes jugeant recevables les demandes respectivement introduites par les départements de l’Orne et de la Manche devant le tribunal administratif de Caen tendant à obtenir la condamnation des sociétés Signalisation France, Lacroix Signalisation et Signaux Girod à les indemniser du surcoût lié à des pratiques anticoncurrentielles lors de la passation des marchés.
Pratiques anticoncurrentielles et indemnisation de l’administration
Le tribunal administratif de Caen a ordonné plusieurs expertises afin de déterminer le surcoût qu’a entrainé pour les départements de l’Orne et de la Manche la passation des marchés litigieux. Sur la base des rapports d’expertise, les juges administratifs ont condamné les différentes sociétés de signalisation à indemniser les départements aux motifs que le comportement fautif de celles-ci était en lien direct avec le surcoût supporté par les départements et que la responsabilité de ces sociétés était engagée.
En outre, le Conseil d’État juge que la Cour administrative d’appel de Nantes n’a pas dénaturé les pièces du dossier en se fondant, pour évaluer l’ampleur du préjudice subi par le département de la Manche au titre du surcoût lié aux pratiques anticoncurrentielles, sur la comparaison entre les marchés passés pendant l’entente et une estimation des prix qui auraient dû être pratiqués sans cette entente, en prenant notamment en compte la chute des prix postérieure à son démantèlement ainsi que les facteurs exogènes susceptibles d’avoir eu une incidence sur celle-ci. Comme le juge d’appel, le Conseil d’État a estimé qu’en l’espèce cette chute des prix ne résultait pas de l’augmentation de la pondération du critère du prix dans les marchés postérieurs ou de la réduction alléguée des marges bénéficiaires des entreprises concernées.
Il ajoute que la circonstance que les marchés aient été renouvelés après l’année 2006, date à laquelle l’entente dans le secteur de la signalisation a pris fin, ne fait pas obstacle à l’indemnisation des départements pour les années postérieures dès lors que ceux-ci ne pouvaient être regardés comme ayant eu une connaissance suffisamment certaine de l’existence et du démantèlement de cette entente dès 2006.
Enfin, le Conseil d’État confirme la condamnation d’une société ayant participé à l’entente anticoncurrentielle quand bien même elle n’a pas contracté avec le département victime de telles pratiques.
Ces décisions novatrices font le lien entre les pratiques anticoncurrentielles et l’indemnisation de l’administration par ses cocontractants ou par des tiers au contrat dans le domaine des marchés publics.