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9 juillet 2020Clauses environnementales et bail rural
24 août 2020Le Conseil d’État ordonne au gouvernement de prendre des mesures pour réduire la pollution de l’air sous astreinte
Par une décision n° 428409 de l’Assemblée du contentieux du 10 juillet 2020, le Conseil d’État statuant en formation solennelle a prononcé une astreinte à l’encontre de l’Etat d’un montant de 10 millions d’euros par semestre s’il ne justifie pas d’avoir exécuté dans un délai de six mois la décision du Conseil d’État du 12 juillet 2017. Le Conseil d’Etat était saisi d’une demande en ce sens de plusieurs associations environnementales.
Pollution de l’air et obligations de l’État
Par une décision n° 394254 du 12 juillet 2017, le Conseil d’État a :
- d’une part, annulé les décisions implicites du Président de la République, du Premier ministre et des ministres chargés de l’environnement et de la santé, refusant de prendre toutes mesures utiles et d’élaborer des plans conformes à l’article 23 de la directive 2008/50/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2008 concernant la qualité de l’air ambiant et un air pur pour l’Europe, permettant de ramener, sur l’ensemble du territoire national, les concentrations en particules fines et en dioxyde d’azote en deçà des valeurs limites fixées à l’annexe XI de cette directive,
- D’autre part, enjoint au Premier ministre et au ministre chargé de l’environnement de prendre toutes les mesures nécessaires pour que soit élaboré et mis en œuvre, pour chacune des zones énumérées au point 9 des motifs de cette décision, un plan relatif à la qualité de l’air permettant de ramener les concentrations en dioxyde d’azote et en particules fines PM10 sous les valeurs limites fixées par l’article R. 221-1 du code de l’environnement dans le délai le plus court possible et de le transmettre à la Commission européenne avant le 31 mars 2018.
Trois ans plus tard, estimant que l’État n’avait pas exécuté les obligations mises à sa charge par la décision du 12 juillet 2017, plusieurs associations environnementales ont saisi à nouveau le Conseil d’État sur le fondement de l’article L. 911-5 du code de justice administrative pour lui demander de constater que sa décision n’avait pas été exécutée à la date du 31 mars 2018 et de prononcer à l’encontre de l’État, s’il ne justifie pas avoir pris les mesures de nature à assurer l’exécution de la décision n° 394254 du 12 juillet 2017 dans un délai d’un mois à compter de la notification de la présente décision, une astreinte de 100 000 euros par jour de retard.
De la sorte, les requérants demandaient le prononcé d’une astreinte pour assurer l’exécution de la décision de 2017.
Pollution de l’air et droit européen
Dans sa décision du 10 juillet 2020, le Conseil d’État rappelle que, en vertu des dispositions de l’article 13 de de la directive du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2008, ainsi que de son annexe XI, les États membres doivent notamment veiller à ce que, dans l’ensemble de leurs zones et agglomérations :
- d’une part, les niveaux de particules fines PM10 dans l’air ambiant ne dépassent pas 40 μg/m3 en moyenne par année civile et 50 μg/m3 par jour plus de 35 fois par année civile, cette obligation étant en vigueur en vertu de textes antérieurs depuis le 1er janvier 2005,
- D’autre part, les niveaux de dioxyde d’azote ne dépassent pas 40 μg/m3 en moyenne par année civile, au plus tard à compter du 1er janvier 2010.
Il rappelle également qu’en vertu de l’article 23 de la même directive, en cas de dépassement de ces valeurs limites après le délai prévu à cette fin, les États membres doivent établir des plans relatifs à la qualité de l’air prévoyant « des mesures appropriées pour que la période de dépassement soit la plus courte possible » et contenant « au moins les informations énumérées à l’annexe XV de la directive ».
. Plans relatifs à la qualité de l’air ?
S’agissant des obligations de l’État, le Conseil d’État considère qu’il résulte de ces dispositions, telles qu’interprétées par la Cour de justice de l’Union européenne dans son arrêt C-404/13 du 19 novembre 2014, mais également dans son arrêt C-636/18 du 24 octobre 2019 concernant la France, que celles-ci imposent l’établissement d’un plan relatif à la qualité de l’air conforme à son article 23 lorsque n’est pas assuré le respect des exigences résultant de son article 13 et que, si les États membres disposent d’une certaine marge d’appréciation pour la détermination des mesures à adopter, celles-ci doivent, en tout état de cause, permettre que la période de dépassement des valeurs limites soit la plus courte possible.
. Plans de protection de l’atmosphère ?
Le Conseil d’État rappelle que les dispositions de l’article 13 de la directive du 21 mai 2008 ont été transposées en droit interne à l’article L. 221-1 du code de l’environnement, et les dispositions de l’article 23 de la directive ont pour leur part été transposées notamment par les articles L. 222-4 et L. 222-5 du code de l’environnement, qui prévoient l’adoption d’un plan de protection de l’atmosphère dans toutes les agglomérations de plus de 250 000 habitants, ainsi que dans les zones où, dans des conditions précisées par décret en Conseil d’État, les normes de qualité de l’air mentionnées à l’article L. 221-1 du même code ou, le cas échéant, les normes spécifiques mentionnées au 2° du I de l’article L. 222-1, ne sont pas respectées ou risquent de ne pas l’être.
. Mesures prises dans un autre cadre ?
Plus précisément, les plans de protection de l’atmosphère ont pour objet de ramener la concentration en polluants dans l’atmosphère à l’intérieur de la zone concernée à un niveau conforme à ces normes. Pour autant, le deuxième alinéa du I de l’article L. 222-4 du même code prévoit la possibilité de ne pas recourir à un plan de protection de l’atmosphère « lorsqu’il est démontré que des mesures prises dans un autre cadre seront plus efficaces » pour respecter les normes en cause.
Pollution de l’air et inaction de l’État
Poursuivant son raisonnement, le Conseil d’État précise que les plans de protection de l’atmosphère ont vocation à tenir lieu des plans relatifs à la qualité de l’air prévus par l’article 23 de la directive du 21 mai 2008, aucune disposition de cette directive, comme aucune disposition de droit national, ne s’oppose à ce que l’administration emploie d’autres instruments pour ramener les émissions de polluants à un niveau compatible avec les normes de qualité de l’air définies aux articles L. 221-1 et R. 221-1 du code de l’environnement.
Il ajoute qu’en toute hypothèse, afin de pouvoir être regardés comme des plans relatifs à la qualité de l’air conformes aux exigences de la directive, les plans de protection de l’atmosphère et les instruments qui les complètent ou les remplacent doivent, comporter des informations précises sur les actions engagées ou prévues et démontrer que ces actions permettent que la période de dépassement des valeurs limites de concentration en polluants soit la plus courte possible.
. Les zones concernées par la pollution de l’air
En l’espèce, il apparaît que sur les douze zones administratives de surveillance (ZAS) de la qualité de l’air concernée par l’injonction prononcée par la décision du 12 juillet 2017 s’agissant de la concentration en dioxyde d’azote (Grenoble Rhône-Alpes, Lyon Rhône-Alpes, Marseille Provence-Alpes-Côte-d’Azur, Montpellier Languedoc-Roussillon, Nice Provence-Alpes-Côte-d’Azur, Paris Ile-de-France, Saint-Etienne Rhône-Alpes, Strasbourg Alsace, Toulon Provence-Alpes-Côte-d’Azur, zone urbaine régionale (ZUR) Champagne-Ardenne, Toulouse Midi-Pyrénées et ZUR Rhône-Alpes), si la moyenne annuelle maximale de concentration de ce polluant a diminué entre 2016 et 2018 pour neuf d’entre elles, la valeur limite de concentration en moyenne annuelle civile fixée à l’article R. 221-1 du code de l’environnement, conformément à l’annexe XI de la directive du 21 mai 2008, demeurait dépassée dans dix d’entre elles en 2018, dernière année pour laquelle le Gouvernement a fourni au Conseil d’État des mesures complètes définitives.
Cette tendance est confirmée par les données provisoires pour l’année 2019, transmises les 16 et 26 juin 2020, qui mettent en évidence huit ZAS pour lesquelles un dépassement de cette valeur limite persiste encore (zone à risques – hors agglomération (ZAR) Vallée de l’Arve, zone à risque – agglomération (ZAG) Grenoble, ZAG Lyon, ZAG Marseille– Aix, ZAG Paris, ZAR Reims, ZAG Strasbourg et ZAG Toulouse, compte tenu des nouvelles terminologies et du nouveau zonage issu de l’arrêté du 26 décembre 2016 relatif au découpage des régions en zones administratives de surveillance de la qualité de l’air ambiant).
Par ailleurs, sur les trois zones concernées par l’injonction prononcée s’agissant de la concentration en particules fines PM10 (ZUR Martinique, Paris – Ile de France et ZUR Rhône-Alpes), si la valeur limite de concentration en moyenne annuelle n’a été dépassée en 2018 que dans la ZAG Paris, la valeur limite de 50 μg/m3 en moyenne journalière l’a été plus de 35 fois dans deux ZAS (jusqu’à 68 jours dans la ZAG Paris et 44 jours dans la ZAG Fort-de-France), ces données étant confirmées par les données provisoires pour l’année 2019.
. Les 14 « feuilles de route »
Pour l’exécution de la décision du 12 juillet 2017, le Gouvernement a notamment adopté quatorze « feuilles de route », qui ont été rendues publiques le 13 avril 2018 et transmises à la Commission européenne le 19 avril 2018. Si ces documents précisent, de façon plus ou moins détaillée, pour chaque zone concernée, une liste d’actions concrètes à mener, destinées à réduire les émissions de polluants, leur échéancier de mise en œuvre et les moyens à mobiliser, ils ne comportent, à l’instar des autres mesures mises en avant par le Gouvernement ne relevant pas des plans de protection de l’atmosphère, aucune estimation de l’amélioration de la qualité de l’air qui en est escompté, ni aucune précision concernant les délais prévus pour la réalisation de ces objectifs, contrairement aux exigences posées à l’annexe XV de la directive du 21 mai 2008 et transposées à l’article R. 222-15 du code de l’environnement.
. Vallée de l’Arve et Ile-de-France : deux révisions inégales
Depuis l’intervention de la décision du 12 juillet 2017, les plans de protection de l’atmosphère, dont le régime est défini par l’article L. 222-4 du code de l’environnement, n’ont été révisés que pour deux zones, la Vallée de l’Arve et l’Ile-de-France, leur révision étant toujours en cours à la date de la présente décision pour les autres zones concernées, voire n’ayant pas encore été initiée. Si le plan de protection de l’atmosphère de la Vallée de l’Arve, adopté le 29 avril 2019, qui comporte une série de mesures suffisamment précises et détaillées ainsi que des modélisations crédibles de leur impact permettant d’escompter un respect des valeurs limites de concentration en dioxyde d’azote NO2 et en particules fines PM10 dans cette zone d’ici 2022, peut être regardé comme assurant, pour la zone qu’il concerne, une correcte exécution de la décision du 12 juillet 2017, il n’en va pas de même du nouveau plan de protection de l’atmosphère d’Ile de France, adopté le 31 janvier 2018.
En effet, si le document adopté, qui identifie vingt-cinq « défis » organisés par secteurs d’activités, personnes publiques compétentes et urgence des mesures à prendre, comporte des objectifs précis, expose les moyens à mettre en œuvre pour les réaliser ainsi que les autorités compétentes, et procède également à une modélisation crédible des effets attendus, il se borne à retenir l’année 2025 comme objectif pour revenir en deçà des valeurs limites de concentration en NO2 et en particules fines PM10. Or, le Gouvernement n’a pas démontré que cette date de 2025 peut être regardée comme permettant de respecter l’exigence que la période de dépassement de ces valeurs limites soit la plus courte possible. Dès lors, le Conseil d’État considère que ce plan ne peut être regardé comme assurant, pour la zone qu’il concerne, une complète exécution de la décision du 12 juillet 2017.
. Des mesures insuffisantes pour réduire la pollution de l’air
Selon le Conseil d’État, pour chacune des zones administratives de surveillance mentionnées dans lesquelles les valeurs limites de concentration en NO2 et PM10 fixées par l’article R. 221-1 du code de l’environnement demeurent dépassées, à l’exception de celle de la Vallée de l’Arve, les différents éléments produits au cours de la procédure juridictionnelle ne permettent pas d’établir que les effets cumulés des différentes mesures adoptées à la suite de la décision du 12 juillet 2017 permettront de ramener les niveaux de concentration en ces deux polluants en deçà de ces valeurs limites dans le délai le plus court possible.
Il en résulte que pour les ZAS Grenoble et Lyon, pour la région Auvergne – Rhône-Alpes, Strasbourg et Reims, pour la région Grand-Est, Marseille-Aix, pour la région Provence-Alpes-Côte-d’Azur, Toulouse, pour la région Occitanie et Paris, pour la région Ile-de-France, s’agissant des taux de concentration en dioxyde d’azote, et pour les ZAS Paris et Fort-de-France, s’agissant des taux de concentration en PM10, à la date de la présente décision, l’État ne peut être regardé comme ayant pris des mesures suffisantes propres à assurer l’exécution complète de cette décision.
Pollution de l’air et astreinte infligée à l’État
A l’issue de son raisonnement, le Conseil d’État a considéré que, eu égard au délai écoulé depuis l’intervention de la décision dont l’exécution est demandée (3 ans), à l’importance qui s’attache au respect effectif des exigences découlant du droit de l’Union européenne, à la gravité des conséquences du défaut partiel d’exécution en termes de santé publique et à l’urgence particulière qui en découle, il y avait lieu de prononcer contre l’État, à défaut pour lui de justifier de cette exécution complète dans un délai de six mois à compter de la notification de la présente décision, une astreinte de 10 millions d’euros par semestre jusqu’à la date à laquelle la décision du 12 juillet 2017 aura reçu exécution, étant rappelé que ce montant est susceptible d’être révisé à chaque échéance semestrielle à l’occasion de la liquidation de l’astreinte.
A qui verser l’astreinte ?
Afin d’assurer l’exécution de ses décisions, la juridiction administrative peut prononcer une astreinte à l’encontre d’une personne morale de droit public ou d’un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public, soit dans la décision statuant au fond sur les prétentions des parties (article L. 911-3 du code de justice administrative), soit ultérieurement en cas d’inexécution de la décision (articles L. 911-4 et L. 911-5 du même code).
En cas d’inexécution totale ou partielle ou d’exécution tardive de la décision, la juridiction procède (article L. 911-7 de ce code), à la liquidation de l’astreinte. En vertu du 1er alinéa de l’article L. 911-8 de ce code, la juridiction a la faculté de décider, afin d’éviter un enrichissement indu, qu’une fraction de l’astreinte liquidée ne sera pas versée au requérant, le second alinéa prévoyant que cette fraction est alors affectée au budget de l’État.
Toutefois, l’astreinte ayant pour finalité de contraindre la personne morale de droit public ou l’organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public à exécuter les obligations qui lui ont été assignées par une décision de justice, ces dispositions ne trouvent pas à s’appliquer lorsque l’État est débiteur de l’astreinte en cause.
Dans ce dernier cas, le Conseil d’État a estimé que, lorsque cela apparaît nécessaire à l’exécution effective de la décision juridictionnelle, la juridiction peut, même d’office, après avoir recueilli sur ce point les observations des parties ainsi que de la ou des personnes morales concernées, décider d’affecter cette fraction à une personne morale de droit public disposant d’une autonomie suffisante à l’égard de l’État et dont les missions sont en rapport avec l’objet du litige ou à une personne morale de droit privé, à but non lucratif, menant, conformément à ses statuts, des actions d’intérêt général également en lien avec cet objet.
Une double novation en matière d’astreinte
La décision du 10 juillet 2020 apporte deux novations importantes au régime de l’astreinte puisque :
- d’une part, c’est la première fois que le Conseil d’État juge que si l’État ne prend pas les mesures nécessaires dans le délai imparti, cette somme pourra être versée non seulement aux associations requérantes, mais aussi à des personnes publiques disposant d’une autonomie suffisante à l’égard de l’État et dont les missions sont en rapport avec la qualité de l’air ou à des personnes privées à but non lucratif menant des actions d’intérêt général dans ce domaine,
- D’autre part, le Conseil d’État fixe un montant qui est le plus élevé jamais retenu par une juridiction administrative française à l’encontre de l’État, à savoir 10 millions d’euros par semestre ou 54 000 euros par jour de retard. Le Conseil d’État pourra réviser par la suite le montant de l’astreinte, y compris à la hausse, si la décision de 2017 n’a toujours pas été pleinement exécutée.