Qu’est-ce qu’un déchet ?
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12 octobre 2023Pas de cession d’un terrain communal sans désaffectation et déclassement
Par un jugement n° 2101642 du 30 juin 2023, le Tribunal administratif de Dijon s’est prononcé sur la vente d’un terrain arboré à un office public d’aménagement et de construction.
A la demande de l’association « Sauvons les cerisiers de Lux », le Tribunal administratif a annulé la délibération du 22 avril 2021 par laquelle le conseil municipal de la commune de Lux a approuvé la cession à l’OPAC de Saône-et-Loire de terrains à l’euro symbolique en vue d’y construire des logements sociaux destinés aux personnes âgées autonomes.
Délibération insuffisamment motivée : il faut préciser ce qui est vendu
L’association requérante soutenait que la délibération décidant de la vente était insuffisamment motivée faute de préciser la consistance précise des parcelles cédées.
Le tribunal a accueilli ce moyen en relevant que la commune a décidé de céder deux parcelles tout en indiquant que l’ensemble de l’emprise de la voirie restera dans le domaine public, que le plan de bornage à venir estime la surface à céder à 2700 m² sur les 4000 m² de la superficie totale et que le document d’arpentage sur la base duquel la vente doit se faire n’avait pas été formalisé.
Le Juge administratif a dès lors considéré que la délibération contestée, qui ne détermine pas l’emprise réellement cédée à l’OPAC, ne précise pas l’une des caractéristiques essentielles de la vente.
Avis du service des domaines et insuffisance d’information des conseillers municipaux
. Information des conseillers municipaux :
L’article L. 2121-13 du code général des collectivités territoriales dispose que « tout membre du conseil municipal a le droit, dans le cadre de sa fonction, d’être informé des affaires de la commune qui font l’objet d’une délibération ».
Sur le fondement de cette disposition, le tribunal précise que doivent être communiqués aux conseillers municipaux les documents nécessaires pour qu’ils puissent se prononcer utilement sur les affaires de la commune soumises à leur délibération. Cette obligation, qui doit être adaptée à la nature et à l’importance des affaires, vise à permettre aux élus d’appréhender le contexte ainsi que de comprendre les motifs de fait et de droit des mesures envisagées et de mesurer les implications de leurs décisions.
. Avis des domaines : quelles précisions ?
L’avis des domaines qui doit être recueilli par une commune avant de décider de vendre un bien immobilier doit permettre aux conseillers municipaux de délibérer en étant suffisamment informés. En l’espèce, le tribunal a estimé que l’avis des domaines invoqué (et d’un montant de 200 000 euros) par la commune n’indiquait pas avec précision les parcelles concernées, et que la commune ne justifiait avoir transmis le projet de délibération à ces derniers, projet qui aurait pu contenir des éléments d’information.
De plus, le Juge a considéré qu’il n’était pas démontré que les motifs de fait et droit qui ont finalement justifié la vente des parcelles à un prix nettement inférieur à leur valeur vénale (à savoir l’euro symbolique) aient été préalablement portés à la connaissance des membres du conseil municipal afin qu’ils puissent en mesurer les implications. Il en tire la conclusion que les conseillers municipaux n’ont pas disposé d’une information adéquate pour l’exercice utile de leur mandat et ont, ainsi, été privés d’une garantie.
Cession d’un bien communal par le Maire : autorisation préalable du conseil municipal
Le code général des collectivités territoriales dispose que :
- article L. 2121-29 : « Le conseil municipal règle par ses délibérations les affaires de la commune »
- article L. 2122-21 : « Sous le contrôle du conseil municipal et sous le contrôle administratif du représentant de l’Etat dans le département, le maire est chargé, d’une manière générale, d’exécuter les décisions du conseil municipal […] / 7° De passer dans les mêmes formes les actes de vente […] lorsque ces actes ont été autorisés conformément aux dispositions du présent code ».
- article L. 2241-1 : « Le conseil municipal délibère sur la gestion des biens et les opérations immobilières effectuées par la commune, sous réserve, s’il s’agit de biens appartenant à une section de commune, des dispositions des articles L. 2411-1 à L. 2411-19. […] Toute cession d’immeubles ou de droits réels immobiliers par une commune de plus de 2 000 habitants donne lieu à délibération motivée du conseil municipal portant sur les conditions de la vente et ses caractéristiques essentielles. Le conseil municipal délibère au vu de l’avis de l’autorité compétente de l’Etat. Cet avis est réputé donné à l’issue d’un délai d’un mois à compter de la saisine de cette autorité ».
Au vu de ces dispositions, le tribunal a considéré que :
- le Maire ne peut valablement céder un bien communal au nom de la commune sans y avoir été préalablement autorisé par une délibération expresse du conseil municipal
- le conseil municipal, assemblée délibérante, ne peut davantage, en dehors des cas limitativement énumérés à l’article L. 2122-22 du CGCT, déléguer au Maire le pouvoir, qui lui appartient exclusivement, de décider d’obliger la commune.
Le tribunal en tire la conclusion que lorsqu’il entend autoriser le Maire à souscrire un contrat portant cession d’un bien communal, le conseil municipal doit, sauf à méconnaître l’étendue de sa compétence, se prononcer sur tous les éléments essentiels du contrat à intervenir, au nombre desquels figurent notamment l’objet précis de celui‑ci ainsi que les éléments financiers exacts et l’identité de l’acquéreur.
En l’espèce, la commune a commis une erreur de droit en votant la délibération alors que celle-ci se bornait à renvoyer à un document futur de bornage pour fixer la superficie totale des parcelles à céder.
Le tribunal a jugé que dans ces conditions, le conseil municipal de Lux, qui n’a pas défini avec suffisamment de précision la chose vendue, a méconnu l’étendue de sa compétence.
Pas de cession sans désaffectation et déclassement préalables
. inaliénabilité du domaine public :
Le code général de la propriété des personnes publiques (CG3P) encadre le régime juridique du domaine public :
- l’article L. 2111-1 dispose que : « Sous réserve de dispositions législatives spéciales, le domaine public d’une personne publique mentionnée à l’article L. 1 est constitué des biens lui appartenant qui sont soit affectés à l’usage direct du public, soit affectés à un service public pourvu qu’en ce cas ils fassent l’objet d’un aménagement indispensable à l’exécution des missions de ce service public ».
- l’article L. 3111-1 pose le principe selon lequel les biens qui relèvent du domaine public des personnes publiques sont inaliénables et imprescriptibles.
Le tribunal souligne que la cession des biens du domaine public ne peut intervenir qu’après qu’ils ont fait l’objet d’une désaffectation et d’une décision expresse de déclassement et qu’une parcelle communale ne peut être regardée comme affectée à l’usage direct du public en l’absence d’intention de la commune de l’y affecter.
. affectation de l’espace vert au domaine public
En l’espèce, l’espace vert cédé, librement accessible au public par plusieurs voies communales, a été aménagé en 1985 par la commune de Lux lors de la réalisation d’une zone d’aménagement concertée (ZAC) dont le règlement prévoit expressément que cet espace boisé, envisagé par la commune comme un élément essentiel du cadre de vie des habitants et de l’intégration paysagère du quartier, sera un « espace public » de « statut public » faisant partie du « domaine public », qu’il sera « planté d’arbres d’essences variées » et qu’il « pourra être clos provisoirement, puis rendu accessible au public lorsque les végétaux seront suffisamment résistants »..
De plus, le tribunal relève que :
- le règlement distingue la servitude de boisement en domaine public dans le sous-secteur où se situent les parcelles AI 293 et AI 320, et en domaine privé dans les autres sous-secteurs ZB3 et ZB4.
- la commune de Lux ne conteste pas sérieusement qu’à la fin des années 1980, elle a planté sur les parcelles litigieuses trente-deux arbres dont vingt-cinq cerisiers, aujourd’hui trentenaires et ordonnancés de manière à former un triangle végétal entourant une pelouse d’agrément,
- elle ne conteste pas non plus qu’elle procède régulièrement à l’entretien de cet espace arboré.
Le juge administratif considère que bien que la ZAC ait été achevée et qu’elle ait été remplacée par un plan local d’urbanisme, les éléments de fait manifestent sans équivoque l’intention de la commune d’affecter les parcelles litigieuses comme une promenade à l’usage direct du public. De plus, postérieurement à la délibération contestée, la commune a permis à un particulier d’occuper ces parcelles pour une fête de quartier en lui délivrant à cet effet une autorisation d’occupation temporaire du domaine public. Le tribunal considère que cette circonstance confirme l’intention de la commune d’affecter cet espace vert au domaine public.
Par voie de conséquence, le tribunal juge que les terrains en cause sont au nombre de ceux qui ne pouvaient en principe être cédés sans désaffectation et déclassement préalables
. transfert de domaine public à domaine public de personnes publiques différentes :
Pour sa défense, la commune de Lux a invoqué les dispositions de l’article L. 3112-1 du CGCT qui permet la cession à l’amiable de biens du domaine public entre personnes publiques et sans déclassement, lorsqu’ils sont destinés à l’exercice des compétences de la personne publique qui les acquiert et relèveront de son domaine public.
Or, en l’espèce, l’office public acquéreur des biens est un établissement public local à caractère industriel et commercial et les constructions projetées sont des habitations avec des prestations de services pour leurs occupants.
. intégration au domaine privé de l’établissement public :
Au cas d’espèce, la commune ne pouvait invoquer les dispositions de l’article L. 3112-1 du CGCT car celui-ci n’autorise pas la cession d’un bien du domaine public à un office public de l’habitat en vue de la construction de logements sociaux sous la forme d’une résidence-services, dès lors que le bien cédé a vocation à intégrer le domaine privé de l’établissement public acquéreur, et non son domaine public.
Dès lors, à défaut de désaffectation et de décision de déclassement, les parcelles litigieuses, qui appartiennent au domaine public de la commune, ne pouvaient faire l’objet d’une cession à l’OPAC de Saône-et-Loire en vue de la réalisation d’une résidence-services. La délibération a dont été annulée.
Injonction faite à la commune suite à l’annulation de la délibération
. les pouvoirs du juge de l’exécution :
Le tribunal rappelle que :
- l’annulation d’un acte détachable d’un contrat de droit privé n’impose pas nécessairement à la personne publique partie au contrat de saisir le juge du contrat afin qu’il tire les conséquences de cette annulation.
- il appartient au juge de l’exécution de rechercher si l’illégalité commise peut être régularisée et, dans l’affirmative, d’enjoindre à la personne publique de procéder à cette régularisation.
- lorsque l’illégalité commise ne peut être régularisée, il appartient au juge d’apprécier si, eu égard à la nature de cette illégalité et à l’atteinte que l’annulation ou la résolution du contrat est susceptible de porter à l’intérêt général, il y a lieu d’enjoindre à la personne publique de saisir le juge du contrat afin qu’il tire les conséquences de l’annulation de l’acte détachable.
. la nature du bien cédé :
S’agissant de la nature du bien et de la nature du contrat, le tribunal expose que :
- le contrat par lequel une personne publique cède des biens immobiliers faisant partie de son domaine privé est en principe un contrat de droit privé, sauf si ce contrat a pour objet l’exécution d’un service public ou s’il comporte des clauses qui, notamment par les prérogatives reconnues à la personne publique contractante dans l’exécution du contrat, impliquent, dans l’intérêt général, qu’il relève du régime exorbitant des contrats administratifs.
- la seule circonstance que le bien vendu appartenait en réalité au domaine public de la personne publique cédante ne saurait suffire à conférer au contrat de vente un caractère administratif.
S’agissant du cas d’espèce qui lui était soumis, le tribunal administratif de Dijon considère que :
- la vente par la commune de Lux à l’OPAC de Saône-et-Loire de parcelles en vue de la réalisation de logements sociaux pour personnes âgées n’a pas pour objet l’exécution d’un service public.
- il ne résulte pas non plus de la délibération en litige que le contrat de vente comportera des clauses qui impliqueraient, dans l’intérêt général, que le contrat relève du régime exorbitant des contrats administratifs.
- Il en résulte que la délibération a le caractère d’un acte détachable d’un contrat de droit privé.
. quelles conséquences pour la vente ?
Selon le tribunal, la cession des parcelles qui appartiennent au domaine public de la commune, ne pouvait intervenir qu’après l’adoption d’une décision expresse de déclassement. Or, en l’absence de disposition permettant leur déclassement à titre rétroactif, l’illégalité de la délibération autorisant leur vente ne peut faire l’objet d’aucune régularisation.
Il en déduit que l’annulation de la délibération du 22 avril 2021 implique nécessairement la résiliation du contrat de vente, ou, le cas échéant, de la promesse de vente, sans préjudice de la possibilité ouverte à la commune de conclure un nouveau contrat à la suite d’une décision régulière de déclassement.
Il considère également que les conséquences de la résolution du contrat ne portent pas une atteinte excessive à l’intérêt général compte tenu de la nature de l’illégalité commise de sorte qu’il enjoint à la commune, si elle ne peut obtenir de son cocontractant qu’il accepte la résolution amiable du contrat de vente ou, le cas échéant, de la promesse de vente, de solliciter du juge du contrat cette résolution, dans un délai de quatre mois à compter de la notification du jugement.