Pollution du Bassin d’Arcachon
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21 mai 2024Pas d’éoliennes à Ronchamp
Par une décision n° 21NC00030 et 21NC00037 du 11 avril 2024, la cour administrative d’appel de Nancy, statuant en 1ère instance, a rejeté deux recours en annulation dirigés contre deux décisions du Préfet de la Haute-Saône du 4 novembre 2020 rejetant deux demandes d’autorisation environnementale en vue d’implanter deux parcs éoliens comportant 9 éoliennes et 3 postes de livraison à Granges-le-Bourg et Saulnot.
Eoliennes et appréciation des atteintes aux intérêts protégés
Avant de statuer, la cour rappelle les dispositions du code de l’environnement qui régissent la délivrance d’une autorisation environnementale, à savoir :
- l’article L. 181-3 selon lequel : « – L’autorisation environnementale ne peut être accordée que si les mesures qu’elle comporte assurent la prévention des dangers ou inconvénients pour les intérêts mentionnés aux articles L. 211-1 et L. 511-1 du code de l’environnement […] ».
- l’article L. 511-1 qui dispose que : « Sont soumis aux dispositions du présent titre les usines, ateliers, dépôts, chantiers et, d’une manière générale, les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l’agriculture, soit pour la protection de la nature, de l’environnement et des paysages, soit pour l’utilisation économe des sols naturels, agricoles ou forestiers, soit pour l’utilisation rationnelle de l’énergie, soit pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique ».
Eoliennes et cigogne noire
En l’espèce, au titre de la protection de l’environnement, la cour a pris en considération le fait que :
- la cigogne noire est protégée au titre de l’annexe 1 de la directive « Oiseaux » n° 2009/147/CE du Parlement européen et du Conseil du 30 novembre 2009 concernant la conservation des oiseaux sauvages et est qualifiée d’espèce vulnérable en migration en France et d’espèce en danger en nidification en France,
- l’espèce nicheuse de la cigogne noire court tout particulièrement un risque majeur d’extinction en France en raison de ses très faibles effectifs et dont le taux d’accroissement de la population est faible,
- l’enjeu de conservation très fort dont la cigogne noire nicheuse fait l’objet au niveau national est renforcé en région Bourgogne-Franche-Comté où l’espèce est considérée comme en danger critique.
La cour a également relevé que :
- l’étude réalisée en septembre 2020 en partenariat avec l’Office national des forêts (ONF) précise que la cigogne noire est une espèce forestière, que le projet de parc éolien est implanté dans un massif forestier et que son territoire s’étend aux zones ouvertes, ses zones de gagnage étant des cours d’eau
- les jeunes cigogneaux sont nourris 4 à 5 fois par jour et l’espèce chasse sur une distance de 10 à 20 km autour du nid
- selon l’étude de la ligue de protection des oiseaux (LPO) de 2020 sur la région Bourgogne-Franche-Comté, il existe un rayon de sensibilité très fort de 10 km autour des nids en raison du rayon d’action très important des individus en période de nourrissage avec des altitudes de vols similaires à celui des éoliennes, d’une part, et un nid de cigogne noire, occupé par un couple et quatre cigogneaux, a été découvert à proximité du site d’implantation du projet à 900 mètres de l’éolienne la plus proche et à moins de 5 km par rapport aux autres éoliennes, d’autre part.
La cour considère dès lors que le risque de collision et de dérangement de l’espèce en raison de l’implantation des éoliennes à proximité d’un nid est établi et que le projet contesté est de nature à présenter des risques d’atteinte significative à cette espèce protégée en danger d’extinction.
Elle précise que la suppression de trois éoliennes et la mise en place d’un système de détection seraient insuffisants eu égard au très fort enjeu de conservation de la cigogne noire nicheuse qui ne permet pas qu’un risque de destruction d’un individu de cette espèce, aussi minime soit-il, subsiste.
La cour en tire la conclusion que l’atteinte que le parc d’éoliennes projeté ferait peser sur la conservation de la population de cigognes noires nichant à proximité du site d’implantation constitue un grave danger pour l’environnement, qui ne peut être prévenu par d’éventuelles prescriptions. Dès lors, le Préfet de la Haute-Saône n’a pas commis d’erreur dans l’appréciation de l’atteinte portée à la cigogne noire.
Eoliennes et chapelle de Ronchamp
S’agissant de l’atteinte aux paysages, la cour rappelle les termes de l’article R. 111-27 du code de l’urbanisme selon lesquels « le projet peut être refusé ou n’être accepté que sous réserve de l’observation de prescriptions spéciales si les constructions, par leur situation, leur architecture, leurs dimensions ou l’aspect extérieur des bâtiments ou ouvrages à édifier ou à modifier, sont de nature à porter atteinte au caractère ou à l’intérêt des lieux avoisinants, aux sites, aux paysages naturels ou urbains ainsi qu’à la conservation des perspectives monumentales ».
Cela signifie que pour statuer sur une demande d’autorisation environnementale, l’autorité administrative doit s’assurer que le projet ne méconnaît pas l’exigence de protection des paysages et de conservation des sites et monuments et ne porte pas atteinte au caractère ou à l’intérêt des lieux avoisinants.
Pour ce faire, c’est-à-dire pour évaluer l’existence d’une atteinte à un paysage de nature à fonder un refus d’autorisation ou les prescriptions spéciales accompagnant la délivrance de cette autorisation, le Préfet doit :
- d’une part, apprécier la qualité du site ou du paysage sur lequel l’installation est projetée,
- d’autre part, évaluer l’impact que cette installation, compte tenu de sa nature et de ses effets, pourrait avoir sur le site, sur le monument ou sur le paysage.
En l’espèce, la chapelle Notre-Dame-du-Haut sur la colline de Boulémont à Ronchamp à 474 mètres d’altitude est située à proximité du site du projet d’éoliennes. Elle est :
- protégée à la suite de son inscription sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO depuis le 17 juillet 2016 avec seize autres sites répartis sur sept pays, issus de « l’œuvre architecturale de Le Corbusier, une contribution exceptionnelle au Mouvement Moderne »
- classée monument historique depuis le 8 novembre 1967 et ses annexes depuis un arrêté du 11 juin 2004
La cour relève que le classement de ce site, dont l’architecture a été conçue en dialogue avec les montagnes environnantes et les souvenirs de voyage de l’artiste qui lui ont inspiré cette forme et ses courbes particulières, trouve son fondement dans la protection et la conservation de l’œuvre de Le Corbusier, auteur d’un nouveau langage architectural en rupture avec le passé dont l’influence se mesure à l’échelle de la planète, ses œuvres subsistant dans onze pays sur quatre continents. Dès lors, la qualité du site qui fait l’objet, à ce titre, d’un plan de gestion local est suffisamment établie.
S’agissant de l’impact du projet sur le site, l’unité départementale de l’architecture et du patrimoine a précisé dans son avis du 15 octobre 2020, que Le Corbusier a conçu son œuvre en symbiose avec le paysage qui l’entoure « une personnalité remarquable était toutefois présente, c’était le paysage, les quatre horizons. Ce sont eux qui ont commandé ».
Ainsi, l’arrêt de la cour relève que l’architecture de la chapelle a été conçue comme une réponse aux horizons des paysages environnants et ce lien est partie intégrante de la valeur universelle exceptionnelle de la chapelle que l’impact visuel du parc éolien, dont l’implantation est prévue à une distance de 12 kilomètres en hauteur au sud de la chapelle est de nature à remettre en cause.
La cour poursuit en estimant que dans ces conditions, alors que tant la chapelle que les paysages qui l’entourent s’inscrivent dans l’œuvre à protéger, les projets éoliens, compte-tenu de la hauteur des aérogénérateurs et de la configuration des paysages dans lesquels ils s’insèrent, auront un impact visuel qu’aucune prescription supplémentaire ne serait susceptible d’atténuer suffisamment pour le rendre acceptable, et notamment pas la seule suppression de trois éoliennes.
Dès lors, la cour a jugé que le projet de parc éolien des sociétés requérantes présente en l’état des inconvénients pour la protection des paysages de nature à justifier le refus d’octroi de l’autorisation environnementale sollicitée et a confirmé la légalité des arrêtés du Préfet de la Haute-Saône.
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Photo Chapelle de Ronchamp : Jocelyne BOES
Photo des cigognes noires : Chris Eason