Infraction en droit de l’urbanisme
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24 avril 2024Droit de l’environnement et mesures utiles
Par une décision rendue le 2 avril 2024 sur requête du Procureur de la République, le Juge des Libertés et de la Détention (JLD) du tribunal judiciaire de Bordeaux a ordonné des mesures immédiates ou à brefs délais sous astreinte afin de préserver la qualité de l’eau et des milieux, et notamment celui du Bassin d’Arcachon.
Fin 2023, suite à une pollution du Bassin d’Arcachon et à la présence de norovirus (facteur de gastro-entérite chez les consommateurs), la commercialisation des huitres avait été interdite. Dans les mois suivants, de nouvelles pollutions ont été relevées qui résultaient de débordements d’eaux usées et de dysfonctionnements du réseau d’assainissement.
Pour faire cesser ces désordres, les dispositions de l’article L. 216-13 du code de l’environnement ont été mobilisées.
Une procédure originale et peu utilisée en droit de l’environnement :
Une association agréée au titre de la protection de l’environnement a déposé plainte auprès du Procureur de la République pour non-respect de plusieurs dispositions du code de l’environnement relatives au milieu aquatique et marin et au règlement sanitaire départemental en matière d’épuration et d’assainissement du Bassin d’Arcachon. Le Procureur a alors saisi le Juge des Libertés et de la détention d’une requête aux fins d’ordonner des mesures utiles à titre provisoire.
- l’article L. 216-13 du code de l’environnement :
La procédure est mise en œuvre à la requête du Procureur de la République, agissant d’office ou à la demande de l’autorité administrative, de la victime ou d’une association agréée pour l’environnement, ce qui était le cas en l’espèce.
Elle est fondée sur le non-respect des prescriptions imposées notamment au titre des articles L. 181-12, L. 211-3 et L. 214-1 à L. 241-6 du code de l’environnement, qui concernent l’eau.
Les mesures utiles sont ordonnées, pour une durée d’un an au plus, par le JLD en cas d’enquête ou par le Juge d’instruction en cas d’ouverture d’une information.
- l’arrêt de la Cour de Cassation du 28 janvier 2020 :
Par un arrêt n° 19-80.091 de la chambre criminelle, la Cour de Cassation a précisé que l’article L. 216-13 du code de l’environnement ne subordonne pas à la caractérisation d’une faute de la personne concernée de nature à engager sa responsabilité pénale, le prononcé par le JLD, lors d’une enquête pénale, de mesures conservatoires destinées à mettre un terme à une pollution ou à en limiter les effets dans un but de préservation de l’environnement et de sécurité sanitaire.
En d’autres termes, l’imputation d’une responsabilité pénale dans les faits dénoncés n’est pas une condition préalable à l’intervention du JLD.
- une procédure peu utilisée :
Avant la décision du JLD du 2 avril 2024, peu de décisions ordonnant de telles mesures utiles avaient été prononcées. Doivent être citées :
- l’ordonnance du JLD du tribunal judiciaire de Lyon du 5 septembre 2018 à propos de la pollution de la rivière La Brévenne par la station d’épuration des Rosandes
- l’ordonnance du JLD du tribunal judiciaire du Puy en Velay du 5 mai 2022 concernant la pollution du cours d’eau Le Say
La décision rendue le 2 avril 2024 par le JLD du tribunal judiciaire de Bordeaux concerne non pas des rivières et cours d’eau, c’est-à-dire de l’eau douce, mais le Bassin d’Arcachon et donc les eaux de la mer.
Pollution des milieux aquatiques et marins du Bassin d’Arcachon :
- la réalité de la pollution :
Il ressort de l’ordonnance du JLD que les faits de pollution résultent de dysfonctionnements répétés du système d’épuration et d’assainissement du Bassin d’Arcachon notamment sur les sites de Lanton et Audenge, dysfonctionnements qui provoquent des rejets polluants dans le milieu naturel et dans le réseau d’eau pluviale.
Le Juge a également relevé que :
- des suspicions de pollution avaient déjà été signalées le 22 décembre 2023 face à la multiplication de cas de toxi infections alimentaires
- les 1ères analyses mettaient alors en évidence la présence de norovirus dans les huîtres du Bassin d’Arcachon en milieu naturel et dans les viviers
- une interdiction de commercialisation des huîtres avait été prononcée
Le Juge en déduit que les faits de pollution, même organique et non chimique, notamment du réseau des eaux pluviales du Bassin d’Arcachon ne peuvent être valablement contestés
- le cadre juridique de la décision du 2 avril 2024 :
L’ordonnance du JLD a été rendue sur le fondement de deux dispositions du code de l’environnement :
- l’article 211-2 qui fixe les règles générales de préservation de la qualité et de répartition des eaux superficielles, souterraines et des eaux de la mer dans la limite des eaux territoriales
- l’article L. 214-1qui porte sur les installations, les ouvrages, travaux et activités réalisés à des fins non domestiques par toute personne physique ou morale, publique ou privée, et entraînant des prélèvements sur les eaux superficielles ou souterraines, restitués ou non, une modification du niveau ou du mode d’écoulement des eaux, la destruction de frayères, de zones de croissance ou d’alimentation de la faune piscicole ou des déversements, écoulements, rejets ou dépôts directs ou indirects, chroniques ou épisodiques, même non polluants.
- les mesures prescrites par le JLD :
Le JLD motive sa décision par le souci de mettre fin aux atteintes à l’environnement relevées et de prévenir les conséquences néfastes résultant de cette pollution des eaux tant sur le plan sanitaire qu’économique car le Bassin d‘Arcachon tire une grande partie de son attractivité de son environnement naturel.
Au vu des faits de pollution constatées et non valablement contestées, le JLD a ordonné conjointement et solidairement au propriétaire de l’ouvrage défaillant et à son exploitant :
- de cesser immédiatement tout pompage sur le bassin de sécurité
- de mettre en place dans le délai d’un mois un système de prélèvement pour analyser les eaux confié à un laboratoire indépendant sur les bassins
- de saisir dans le délai de 4 mois la DDTM de la Gironde pour officialiser la demande de construction d’un déversoir d’orage sur chacun des bassins de sécurité
- d’installer un système de dégrillage dans le délai de 6 mois sur les bassins.
Eu égard à l’importance des pollutions constatées, ces mesures ont été ordonnées pour le maximum de la durée légale, soit 12 mois, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard.
Le JLD a également ordonné des contrôles récurrents de l’Office Français de la Biodiversité afin de constater d’éventuels non-respect de prescriptions administratives et d’éventuelles nouvelles pollutions.