Médiateur ou rapporteur public : le Conseil d’Etat confirme la décision du Juge d’appel
27 janvier 2023Pas d’utilité publique à exproprier pour construire une école
24 février 2023Les arbres qui bordent les voies ouvertes à la circulation sont protégés
Par une ordonnance n° 2300010 du 24 janvier 2023, le Juge des référés du tribunal administratif de Besançon a suspendu l’exécution de la décision tacite du Préfet du Doubs de non-opposition à la déclaration de travaux de la commune d’Arçon portant abattage d’arbres sur l’allée des Tilleuls de la commune.
L’association Arçon Nature et Patrimoine a saisi le tribunal administratif de Besançon d’un recours en annulation et d’une requête en référé suspension dirigés contre la décision préfectorale du 28 décembre 2022 née de la non-opposition à la demande de la commune d’abattre les 15 arbres bordant l’allée des Tilleuls qui permet l’accès au groupe scolaire communal.
Statuant en référé, le Juge administratif a successivement analysé les deux conditions posées par le code de justice administrative.
Sur l’urgence à suspendre l’abattage des arbres :
- la condition d’urgence, en droit :
L’article L. 521-1 du code de justice administrative dispose que :
« Quand une décision administrative, même de rejet, fait l’objet d’une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d’une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l’exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l’urgence le justifie et qu’il est fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ».
- la condition d’urgence, en fait :
Le Juge des référés relève que, au moment où l’audience a eu lieu, les travaux d’abattage autorisés par la décision contestée avaient d’ores et déjà commencé à être exécutés. Il relève également que si la commune fait état de l’urgence à abattre ces arbres pour des motifs de sécurité publique, cette circonstance qui concerne la légalité même de la décision ne suffit pas à renverser la présomption d’urgence et ce d’autant plus que la commune justifie avoir mis en place des restrictions de circulation pour préserver la sécurité des usagers de l’Allée des Tilleuls par un arrêté du 5 janvier 2023. Dès lors, la condition d’urgence a été regardée comme remplie.
Sur le doute sérieux quant à la légalité de l’autorisation d’abattage des arbres :
Le cadre législatif à prendre en considération ressort du code de l’environnement.
- Interdiction de principe d’abattre les arbres qui bordent les voies ouvertes à la circulation publique :
L’article L. 350-3 du code de l’environnement pose un principe d’interdiction selon lequel :
« Les allées d’arbres et alignements d’arbres qui bordent les voies ouvertes à la circulation publique constituent un patrimoine culturel et une source d’aménités, en plus de leur rôle pour la préservation de la biodiversité et, à ce titre, font l’objet d’une protection spécifique. Ils sont protégés, appelant ainsi une conservation, à savoir leur maintien et leur renouvellement, et une mise en valeur spécifiques.
Le fait d’abattre ou de porter atteinte à un arbre ou de compromettre la conservation ou de modifier radicalement l’aspect d’un ou de plusieurs arbres d’une allée ou d’un alignement d’arbres est interdit ».
- Le code de l’environnement admet cependant des exceptions au principe d’interdiction dans des cas limitativement énumérés, à savoir :
« Toutefois, lorsqu’il est démontré que l’état sanitaire ou mécanique du ou des arbres présente un danger pour la sécurité des personnes ou des biens ou un risque sanitaire pour les autres arbres ou que l’esthétique de la composition ne peut plus être assurée et que la préservation de la biodiversité peut être obtenue par d’autres mesures, les opérations mentionnées au deuxième alinéa sont subordonnées au dépôt d’une déclaration préalable auprès du représentant de l’Etat dans le département. Ce dernier informe sans délai de ce dépôt le maire de la commune où se situe l’alignement d’arbres concerné […].
La demande d’autorisation ou la déclaration comprend l’exposé des mesures d’évitement envisagées, le cas échéant, et des mesures de compensation des atteintes portées aux allées et aux alignements d’arbres que le pétitionnaire ou le déclarant s’engage à mettre en œuvre. Elle est assortie d’une étude phytosanitaire dès lors que l’atteinte à l’alignement d’arbres est envisagée en raison d’un risque sanitaire ou d’éléments attestant du danger pour la sécurité des personnes ou des biens. Le représentant de l’Etat dans le département apprécie le caractère suffisant des mesures de compensation et, le cas échéant, l’étendue de l’atteinte aux biens ».
Au cas d’espèce, le Juge des référés s’est fondé sur les propres pièces de la commune, et notamment sur le rapport établi par l’Office National des Forêts (ONF), pour considérer que la décision d’abattage des arbres était entachée d’un doute sérieux quant à sa légalité.
L’ordonnance estime, d’abord, que l’allée des Tilleuls relève bien de l’article L. 350-3 du code de l’environnement mais que depuis 2019, aucune action n’a été menée par la commune pour l’entretien de ces arbres et la sécurisation de la voie publique qui les borde.
Il précise ensuite que, dans son rapport du 28 avril 2022, l’ONF a estimé que :
- seuls deux des arbres de l’allée des Tilleuls (arbres n° 1 et 13) présentaient un état sanitaire nécessitant un abattage en urgence pour des raisons de sécurité,
- pour les treize autres arbres, une taille de sécurité pour enlever le bois mort et conforter certains arbres est préconisée en urgence.
Le Juge relève que, s’agissant de ces treize arbres qui n’ont pas été entretenus depuis plusieurs années, leur longévité est notamment liée à la réalisation de diagnostics pour déterminer la nécessité d’un abattage, de tailles sanitaires régulières et pour certains d’un haubanage. Toutefois, il n’apparaît pas selon lui que l’état sanitaire ou mécanique des arbres dont l’abattage n’est pas préconisé par l’ONF présente un danger au sens de l’article L. 350-3 du code de l’environnement.
Il ajoute qu’il n’apparaît pas non plus qu’en cas d’abattage partiel, un remplacement ne pourrait être mis en œuvre, ni que l’esthétique de la composition ne puisse plus être assurée dès lors que le rapport de l’ONF mentionne déjà un espacement irrégulier entre les arbres sur l’allée des Tilleuls et même un remplacement par des arbres plus récents d’essence différente dans l’Allée des Tilleuls.
Le Juge des référés en tire la conclusion que s’il ressort du rapport de l’ONF que les arbres de l’Allée des Tilleuls nécessitent des travaux urgents et conséquents de taille, sécurisation et diagnostics, ni le Préfet du Doubs ni la commune d’Arçon ne démontrent que ces arbres présenteraient des dangers sanitaires ou mécaniques tels que leur abattage justifierait une dérogation à la protection prévue par l’article L. 350-3 du code de l’environnement.
Dès lors, le tribunal administratif statuant en référé a suspendu l’exécution de la décision du Préfet du 28 décembre 2022 en tant qu’elle autorise l’abattage des treize arbres ne présentant pas un danger.
Cette décision intervient au lendemain d’une réponse ministérielle publiée le 24 janvier 2023 du Ministre de la Transition écologique à une question n° 3458 d’un Député portant sur les conditions d’application de l’article L. 350-3 du code de l’environnement, et notamment sur la définition d’un alignement d’arbres et le nombre d’arbres nécessaires pour le constituer, et sur la rédaction annoncée d’un décret en Conseil d’Etat précisant les modalités d’application de cette disposition. Le Ministre indique que « la publication de ce décret ne conditionne pas l’entrée en vigueur du régime de protection tel que revu par la loi 3DS qui est a priori d’application directe car suffisamment précis » (JOAN, 24 janvier 2023, p. 634).
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Sources photographiques
Allée de tilleuls : JH Mora, Wikipédia
Allée de Hêtres : Jean-Pol GRANDMONT, Wikipédia
Allée de platanes : Peter Gugerell, Wikipédia