Pollution au plomb des sols, droit minier et responsabilité de l’État
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30 janvier 2020La Cour administrative d’appel de Versailles accorde une indemnisation limitée à la société Schuepbach pour l’abrogation de ses permis exclusifs de recherche de gaz de schiste
Par une décision n° 16VE01097 rendue le 4 décembre 2019, la Cour administrative d’appel de Versailles a décidé du montant de la réparation du préjudice que la société Schuepbach a subi du fait de l’abrogation de ses titres miniers dits « Permis de Nant » et du « Permis de Villeneuve-de-Berg ».
Abrogation de permis de recherche exclusifs
La société Schuepbach était titulaire de permis exclusifs de recherches de mines d’hydrocarbures délivrés le 13 octobre 2010 sous les dénominations de « Permis de Nant » et « Permis de Villeneuve-de-Berg » relatifs à la recherche des gaz de schiste dans le Sud-Est de la France. Par décision du 12 octobre 2011, les ministres chargés de l’environnement et de l’industrie ont abrogé ces deux permis permettant la recherche de gaz de schiste en vue de les exploiter.
La société Schuepbach a saisi le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise puis la Cour administrative d’appel de Versailles d’une demande de condamnation de l’État à lui verser la somme de 117 354 165,52 euros en réparation du préjudice qu’elle estime avoir subi à raison, d’une part, de l’illégalité fautive de la décision du 12 octobre 2011 par laquelle ses deux permis ont été abrogés et, d’autre part, de la responsabilité sans faute de l’État du fait de la loi n° 2011-835 du 13 juillet 2011 visant à interdire l’exploration et l’exploitation des mines d’hydrocarbures liquides ou gazeux par fracturation hydraulique et à abroger les permis exclusifs de recherches comportant des projets ayant recours à cette technique.
Le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté cette demande par jugement du 11 mars 2016. Ce jugement a été annulé par la Cour administrative d’appel de Versailles sans pour autant accorder les 117 millions demandés. La Cour a limité l’indemnisation à la somme de 994 195,98 euros.
Responsabilité sans faute
Dans un arrêt du 21 décembre 2017, la Cour a fait droit au principe de l’indemnisation par l’État du préjudice subi par la société Schuepbach du fait de l’intervention de la loi du 13 juillet 2011. Elle a rappelé que la Loi du 13 juillet 2011 a interdit le recours à la seule technique de la fracturation hydraulique de la roche permettant d’extraire des gaz de schiste mais n’a pas interdit le recours aux techniques conventionnelles que la société Schuepbach aurait pu mettre en œuvre, de sorte que « compte-tenu de son objet et de ses effets, l’application immédiate de la loi n’a pas porté une atteinte excessive aux intérêts privés en cause ».
Si la Cour a considéré qu’il n’y a eu pas d’atteinte excessive aux intérêts privés et que dès lors le principe de sécurité juridique n’a pas été méconnu, elle considère cependant que l’adoption de la Loi de 2011 a eu des conséquences excédant les aléas que comporte normalement pour leur titulaire la détention de permis exclusifs de recherches. En effet, elle relève que c’est suite à la délivrance en 2010 de permis exclusifs de recherches susceptibles d’utiliser la technique de la fracturation hydraulique de la roche propre à l’extraction des gaz de schiste « qu’un débat sur le caractère dangereux de ce type de recherche a pris naissance en France ».
La Cour a aussi relevé que l’adoption de la Loi du 13 juillet 2011 « a pour origine une évolution non fautive de l’appréciation par le législateur du risque induit par la recherche d’hydrocarbures liquides ou gazeux et des précautions qu’il appelle » tout en soulignant la rapidité avec laquelle l’interdiction de principe de l’utilisation de la technique de la fracturation hydraulique est intervenue. Du fait de la très prompte intervention du législateur (résultant de l’opposition de l’opinion publique aux gaz de schiste) et de la survenance d’une interdiction soudaine, la société Schuepbach doit être regardée comme ayant subi un préjudice anormal, en ce qu’il dépasse l’aléa normal que tout industriel peut subir, et suffisamment grave pour donner lieu à indemnisation. La Cour a déduit de ces circonstances que l’intervention de cette Loi a emporté des conséquences « excédant les aléas que comporte normalement pour leurs titulaires la détention de permis exclusifs de recherches ».
Montant de l’indemnisation
S’agissant du montant de l’indemnisation, la Cour administrative d’appel de Versailles a jugé que le préjudice susceptible d’être indemnisé correspond aux frais que la société a engagés pour l’obtention et la gestion des permis exclusifs de recherches abrogés en application de cette loi par la décision du ministre chargé des mines le 12 octobre 2011, et pour la gestion administrative de ces autorisations.
Dans son arrêt du 21 décembre 2017, la Cour a ordonné une expertise en vue de déterminer le montant des frais de cette société. Deux ans plus tard, par arrêt du 4 décembre 2019, la Cour a condamné l’Etat à verser la somme de 994 195,98 euros à la société Schuepbach (419 307,23 euros au titre des frais généraux de la société, à 495 384,81 au titre des honoraires de consultants et d’avocats et à 79 503,94 euros au titre des frais de transports).
La Cour a ainsi ramené le montant de l’indemnisation de la société Schuepbach à de plus justes proportions que les sommes demandées par celle-ci en faisant application des règles de droit public classiques, à défaut d’indications particulières qui auraient été prévues par la Loi du 13 juillet 2011 ou par le Code minier. Il s’agit de l’épilogue financier des gaz de schiste en France.